Marie Antoinette Duclaire a été brutalement assassinée dans sa voiture, la nuit du 29 au 30 juin 2021. Selon un rapport du Réseau National de défense des Droits Humains (RNDDH), Antoinette a reçu sept projectiles. Militante politique, sociologue, journaliste, féministe engagée, Marie Antoinette Duclaire, surnommée « Netty » était multi-casquettée et insufflait espoir à la jeunesse féminine, notamment. À 33 ans elle était déjà le porte-voix des démunis, des marginalisés, des rebus de la société… Elle incarnait le changement.

Une figure de résistance…

Netty Duclaire était une sociologue de terrain. Hormis sa présence remarquable dans les médias, elle était constamment sur le macadam. Non seulement elle comprenait les grandes théories, mais elle voulait les appliquer, passer de la parole aux actes. Dans la lutte pour l’émancipation des femmes et pour faire respecter les droits des haïtiens, la native des Cayes était toujours au premier plan.

Antoinette Duclaire croyait dans une Haïti meilleure et a voulu apporter son grain de sel, rappelle Martine Isaac, présidente de la Solidarité des Femmes Haïtiennes Journalistes (SOFEHJ), qui intervenait lors d’une cérémonie d’hommage organisée au Centre Pen d’Haïti en mémoire de Antoinette Duclaire. Cette dernière était un membre influent de l’association. Netty était un dur à cuire. Elle refusait toujours d’abandonner et avait une solution à tout, martèle la féministe.

La trentenaire était porte-parole d’une structure politique de l’opposition dénommée « Matris liberasyon ». Elle portait partout l’idéologie de son parti et défendait avec faste ses positions politiques. Elle se dressait contre les corrupteurs et les corrompus. Elle dénonçait les gabegies administratives, et n’a jamais manqué l’occasion d’exiger lumière sur l’utilisation des fonds Pétro-Caribé. Netty parlait sans langue de bois. Elle n’y allait jamais avec le dos de la cuillère. Ce que tout le monde redoutait de dire, refoulait, Antoinette les crachait tout haut.

Antonio Cheramy, ancien sénateur et président du parti, décrit la militante comme une jeune femme solide et perspicace. « Netty voulait dénoncer les mauvaises pratiques en politique, elle réclamait justice sociale, équité et respect des droits des femmes, même au péril de sa vie » lance le chanteur de Brother’s Posse.

Cajuste Nadège, directrice de programmation de Vision 2000, voyait en Netty une jeune femme dévouée. Une brave qui prenait le gros risque de parler et de dénoncer. « Quand on est en Haïti, il n’est pas facile de dire ce qu’il faut dire », souligne madame Cajuste. Pour Bungy Baka, artiste peintre, plasticien, Antoinette est morte sur le champ de bataille.

Un symbole d’humanisme

Quoique Netty fût connue pour son opiniâtreté, sa bravoure, son courage et sa rage de vaincre… les gens qui l’ont côtoyé n’ont pas retenu que ça d’elle. Elle était un humaniste dans l’âme. Antoinette aimait la vie. » Mwen viv pou lanmou ak libète », Martine Isaac se souvient de cette phrase, presque fétiche que la défunte lâchait à tout bout de champ. Marie Antoinette Duclaire était une femme joviale, conviviale, dynamique. Elle aimait partager tout ce qu’elle avait, sa mort pour la lutte en témoigne grandement, soutient la titulaire de la SOFEHJ.

Dans une vidéo qui a provoqué émoi, consternation et pleurs sur la toile, l’artiste chanteur Jeanjean Roosvelt, en sanglot, la voix cassée, décrit Netty comme une personne hyper sensible. Comme quelqu’un qui possède un grand cœur. «Elle me laissait toujours de quoi à manger après mes prestations ». Elle voulait s’assurer que tout allait bien. « Netty était comme une sœur pour moi », lamente l’ex champion des jeux de la francophonie de 2013.

Immortelle…

Depuis la mort tragique de l’ancienne étudiante de l’UEH, les cérémonies d’hommage en son honneur n’ont pas cessé. Il faut à tout prix pérenniser la mémoire de la victime.

« Ann selebre lavi Netty ». C’est sous ce thème qu’une cérémonie d’hommage, la dernière avant ses funérailles chantées à Chantal (Cayes), sa commune natale, s’est tenue dimanche dernier au centre Pen d’Haïti sous la houlette de la SOFEHJ. Gerbes de fleurs, expositions de photos de la défunte, bougies, témoignages… Journalistes, personnalités publiques, jeunes, camarades, anciens collaborateurs. Tout le décor était bien planté pour dire au monde entier qu’une femme de la trempe de Marie Antoinette Duclaire ne peut pas mourir. « Moun kap batay pa mouri ». Lors de son intervention, l’écrivaine Kettly Mars s’est montrée attristée par la mort de la jeune sociologue. « La nouvelle de l’assassinat de Netty m’a beaucoup frappée. C’est comme un coup de boutoir », lâche l’écrivaine d’une voix éteinte,

« Elle était une légende en herbe. Ses bonnes actions impactaient déjà les jeunes de sa génération », souligne Kettly Mars, l’auteure de Saisons Sauvages.

Cajuste Nadège croit que la militante est là dans un souffle. Comme un souffle. Comme le vent et appelle à continuer son combat.

« Elle a eu le temps de semer ses bons grains, d’autres Netty germeront », prédit Antonio Cheramy.

« Je réalise le portrait de Antoinette Duclaire pour soulever la conscience collective. Pour dire aux gens qu’on ne peut pas oublier une femme comme elle. Mais pour rappeler aussi aux assassins leur œuvre macabre, pour troubler leur sommeil », tance Bungy Baka.

 

« Vous n’arriverez jamais à nous tuer « . Tel est le titre d’un texte écrit en mémoire de Netty, par le comité des femmes écrivains du Centre Pen d’Haïti, dont la célèbre écrivaine Kettly Mars est membre. C’est comme un message de résistance lancé aux broyeurs de vies. Pour leur dire qu’ils n’auront pas raison de la lutte et que leur règne ont une fin. « Le pouvoir se gagne et se perd. Les dynasties se construisent et s’effondrent. Ne demeurent que celles et ceux qui arrivent à s’adapter et à se constituer en une nouvelle société. Avec de nouveaux codes et de nouveaux repères », lit-on dans ce texte.

L’assassinat d’Antoinette Duclaire et de Diégo Charles, comme d’autres, ont suscité indignation et colère, et vient s’ajouter à une liste interminable de crimes spectaculaires et crapuleux, qui sont restés jusque-là, impunis. La douleur des proches, amis et parents des victimes, décuple. La peur et l’inquiétude gagnent même les esprits les plus résilients. Les assassins quant à eux, libres dans la nature, continuent en toute quiétude à endeuiller les familles haïtiennes. Au grand mépris de la justice, sinon avec sa complicité, vraisemblablement.

Ces questions redoutables, comme des vieux démons surviennent, hantent les esprits et pincent les cœurs : Qui sera la prochaine victime ? Le prochain assassiné ? Qui sont les assassins ? À quand la fin de ce cycle infernal ?

Miwatson St Jour