La vie nocturne à Port-au-Prince pris entre deux feux
La vie nocturne en Haïti n’est plus ce qu’elle était avant. Des boites de nuit, bar-restos, clubs et hôtels sont quasi déserts le soir. Et pour cause, l’insécurité caractérisée par la multiplication des cas de kidnapping, de vol à mains armées et de viol. Les activités nocturnes qui, jadis représentaient un atout pour l’économie nationale, sont désormais presqu’au point mort, en raison de la dégradation de la situation sécuritaire du pays.
Il est 7h PM, notre petite promenade commence à Pétion-ville, commune très animée durant la nuit dans le temps. Mais le constat est complètement différent ce soir-là. Très peu de personnes sont remarquées dans les rues de ce quartier huppé. Le transport en commun est inexistant. Sauf, quelques motards qui attendent de faire une dernière course. Et de rares marchands qui osent braver les rues. Tant bien que mal, la commune tente de résister face à l’assaut des truands qui imposent leur loi dans une ville qui autrefois attirait les touristes.
Une capitale qui se meurt
De Pétion-ville à Delmas, le constat est presque le même. À la seule différence, la commune de Delmas est légèrement plus animée. Si les citoyens pouvaient circuler librement dans ces quartiers, désormais la donne a changé. Face à l’amplification des groupes armés dans plusieurs zones de la capitale haïtienne et dans certaines villes de province, les gens se terrent chez eux. Chaque quartier, chaque bloc ou secteur, semble avoir son groupe de gang qui dirige et fait la loi au nez et à la barbe des dirigeants.
Si dans certaines communes et villes de province, les activités nocturnes existent encore, ce n’est malheureusement pas le cas à Port-au-Prince, la Capitale d’Haïti. Les clubs sont presque vides, pas de grandes soirées, les activités nocturnes sont au ralenti. Les fêtards craignent de sortir la nuit de peur d’être victime d’acte d’insécurité. De toute évidence, tous les quartiers de la capitale sont devenus des « no-go-zones », et les malfras sont loin de mettre les pieds sur le frein. D’ailleurs , selon les Nations Unies c’est plus de 531 cas d’homicide et 277 cas d’enlèvement qu’à enregistré Port-au-Prince, en seulement trois mois de cette année. Conséquence : les gens se terrent chez eux.
Les gens ne se récréent presque plus
Au bar-resto de Pétion-ville où nous nous sommes rendus, 3 personnes seulement étaient remarquées ce jour-là. Pourtant, en temps normal, ce club est très fréquenté et toujours achalandé. Nous avons rencontré l’un des responsables qui s’est plaint de l’insécurité généralisée qui gangrène le pays et qui l’oblige à fermer tôt et procéder a des réductions de staff. « Ces derniers mois, les recettes sont en baisse, les clients ne fréquentent plus l’espace. Ce week-end, je n’ai pas pu écouler même une caisse de bière alors qu’auparavant on vendait plus d’une douzaine de caisse par week-end. Je pense que bientôt je vais obliger de fermer boutique. Je suis en train de réfléchir à d’autres alternatives, car c’est franchement décourageant ici », a-t-il confié.
L’horloge tourne autour de neuf heures du soir, les rues sont quasi désertes, la ville est sombrée dans un silence de cimetière. Les voitures et les motos roulent à toute vitesse et les rares personnes rencontrées à pied s’empressent de rentrer chez elles. Une autre preuve que la ville est difficile d’accès pendant la nuit.
Des haïtiens, étrangers de leur propre pays
Vivre à Port-au-Prince, c’est accepter de regagner son domicile très tôt dès que le soleil est avalé par l’horizon. C’est accepter de vivre avec la peur au ventre quand vous sortez. Face à cette situation, les citoyens sont obligés de limiter leur déplacement ou encore de rentrer le plus tôt que possible afin de laisser les lieux à ceux qui le contrôlent.
« A 8 heures du matin, je vais au boulot et après je regagne ma maison avant 6 heures de l’après-midi. A Port-au-Prince, tu ne restes pas dans la rue. S’il marque une heure indigne, tu te retrouves dans un endroit, loin de chez toi, vaut mieux rester car Port-au-Prince est devenu un couloir de la mort », a lâché une citoyenne.
Malgré le climat de violence qui s’installe jour et nuit dans la zone métropolitaine de Port-au-Prince, les noctambules et les travailleuses du sexe bravent l’insécurité pour essayer de donner vie à la vie nocturne.
Le blackout asphyxie la vie nocturne
Outre l’insécurité et la violence des gangs armés, le blackout complique davantage la situation dans la capitale. Car le manque d’électricité plonge Port-au-Prince et ses environs dans le noir total à la tombée de la nuit. Ce qui provoque une peur bleue chez les citoyens.
Les rares voitures qui bravent le couvre-feu, imposé par la violence des gangs, traversent en trombe la cité de la mort. Les commerçants sont appauvris, les petites bourses déjà, parmi les plus pauvres souffrent davantage de la crise.
Si dans le temps, l’haïtien avait peur de marcher la nuit pour ne pas croiser « le diable », aujourd’hui ce sont des bandits armés qu’il craint de rencontrer sur sa route et les balles perdues qui les hantent dans cette cimetière à ciel ouvert qu’est devenue Port-au-Prince .
Mederson Alcindor