Haïti : ces non-voyants qui ont décidé de voir grand !
Le quotidien des personnes atteintes de déficience visuelle n’est pas toujours facile. Faute d’encadrements, elles peinent à s’adapter à la vie sociale, voire intégrer le milieu artistique. En Haïti, elles sont nombreuses à vouloir se consacrer à leurs passions, mais souvent découragées. Malgré des écueils, certaines se jettent à l’eau.
Atteint de mal voyance, Jonas Lamarque, dans la trentaine, a effectué ses études en communication sociale à l’Université de Port-au-Prince. Ce jeune garçon qui refuse de voir sa cécité comme un obstacle, a étudié également l’informatique, une discipline qu’il utilise comme outil technologique adapté pour les non-voyants. Dès son jeune âge, M. Lamarque exprime une passion pour l’art. En 2008, il a fondé une association culturelle spécialement pour les non-voyants. Cependant, il lui était difficile de trouver un metteur en scène qui voudrait nouer collaboration avec l’équipe. « Malgré les embûches que nous avons rencontrées, nous avons relevé ce défi. C’est en effet un message pour dire qu’une personne en situation de handicap n’est pas un signe de faiblesse », lâche Jonas.
Si le séisme du 12 janvier 2010 a mis un terme au projet « RÈL » de Jonas Lamarque, cela n’a pas, pour autant, détourné le comédien de son enthousiasme pour le théâtre. Si pour certains, cette catégorie d’art est négligeable, pour Jonas, le théâtre est un outil de réflexion et de formation.
« Je sais que je vis dans une société de discriminations et de préjugés. Je sais que je fais partie des personnes exclues, j’utilise le théâtre pour m’intégrer et démontrer à tout le monde que les personnes en situation de handicap peuvent aussi accomplir quelque chose de bon. Lorsque les gens sont en face d’une performance de non-voyants, ils sont sous le choc à première vue, au fur et à mesure qu’ils découvrent les personnages et commencent à se questionner. De là, le message devient plus facile à véhiculer », relate Jonas Lamarque.
Angeline Douge : une non-voyante qui sait jouer au keyboard
Elle a décidé d’apprendre à jouer au Keyboard. Habitant à Clercine, elle prenait ses cours de Keyboard à Cité-Soleil. « Pour moi, jouer d’un instrument est une belle aventure. Je n’ai jamais aimé les instruments à vent, ni les instruments à corde. Le Keyboard m’attire », déclare la jeune chanteuse. Pourtant, la première fois qu’elle a sollicité l’aide de quelqu’un pour lui inculquer le solfège du Keyboard, il a refusé.
Il lui a fait comprendre qu’un non-voyant ne pourrait devenir un instrumentiste. Elle ne s’est pas laissé décourager, elle continue à se perfectionner. Aujourd’hui, elle compte évoluer dans le secteur musical, partager son énergie avec le public et illuminer les autres par son talent.
Un non-voyant passionné de Slam
Âgé de 24 ans, étudiant en communication sociale à l’Université de Port-au-Prince, Jerry Hilaire s’adonne au slam depuis déjà sept ans. Ce n’est que cette année qu’il lancera officiellement sa carrière. Face aux discriminations dont il faisait l’objet, il a choisi d’exprimer ses ressentiments. Pour la réalisation de ce projet, le jeune slameur ne dispose que de ses propres moyens financiers. « Je me sers du slam comme un canal pour cracher mes frustrations », Confie Jerry Hilaire soulignant que Personne ne devrait se laisser empêcher par un quelconque handicap. « Il suffit de croire. Croire en ses potentiels, croire en soi », poursuit-t-il.
Chaque fois qu’il investissait une scène pour la première fois, l’impression que les gens murmuraient à cause de sa situation de handicap l’envahissait. L’angoisse d’être mal perçu par le public ne l’a pas déroutée de son intention : projeter au grand jour son amertume.
L’art, au-delà du regard
Cindy Pierre-Louis a étudié la communication avant de pratiquer la musique, la poésie et le théâtre. Son amour pour l’art ne date pas d’hier. Dès son enfance elle marchait sous les pas du théâtre. À l’école elle synchronisait des sketchs, ainsi qu’à l’église. Non-voyante, Cindy Pierre-Louis aimait se faire raconter des histoires, afin de visualiser les images dans son esprit. « J’aimais raconter aux plus petits des histoires comme on me les racontait. Je n’ai jamais pensé qu’un jour je deviendrais une conteuse », avoue Cindy. En 2017, elle a croisé la route de l’association « Théâtre Toupatou ».
La comédienne compte à son actif plusieurs participations aux festivals nationaux et internationaux. En l’occurrence : le Festival Quatre Chemins, Kont anba tonèl, la Quinzaine Internationale Handicap et Culture… Sa carrière allait prendre une autre tournure avec la pièce « j’ai vengé la race ». Un texte de grand calibre qu’elle a pu jouer avec succès. Après cette réussite, je me suis promise de m’engager dans le théâtre, j’ai compris que j’avais un don pour cette catégorie d’art », ajoute la conteuse.
En vue de dissiper les stéréotypes et de faciliter l’inclusion des personnes en situation de handicap, Johny Zéphirin a créé la Quinzaine Internationale Handicap et Culture. D’entrée de jeu, les responsables ont recruté des artistes avec une déficience. Ces personnes ont suivi des séances de formation avec la production Théâtre Toupatou, pour ensuite les mettre à l’œuvre. « Comme des professionnels, nous signons des contrats avec ces artistes et nous les accompagnons vers d’autres projets pour qu’ils puissent jouer sur des scènes nationales et internationales », dit le directeur artistique de la Quinzaine Internationale Handicap et Culture.
Il existe très peu de matériels de travail adéquat pour ces personnes, surtout pour celles ayant un trouble visuel. L’insertion des personnes en situation de handicap dans le milieu culturel haïtien est difficile. « Cela remonte à huit ans depuis que j’ai commencé à travailler avec des personnes en situation de handicap. Contrairement à ce qu’on pourrait croire, le travail n’est pas compliqué. Il faut avoir avant tout une bonne méthode d’approche pour éviter de les stigmatiser. Il faut pouvoir développer son sens d’observation », précise Johny Zéphirin.
Toutefois, l’intégration des personnes en situation de handicap dans des circuits artistiques conduirait à leur épanouissement. Et aussi amener la société à ne plus les considérer comme des personnes limitées, incapables d’épater le monde.
Pharah Djine Colin