Raymonde Calixte : une « Madan Sara » aux exploits dignes d’une Héroïne
Les femmes haïtiennes ne sont pas seulement ces femmes aux talons, au langage ouvragé qui défilent dans les bureaux. Elles sont aussi les « Madan Sara ». Ces commerçantes qui font de long trajet pour rentrer à Port-au-Prince et liquider leurs produits. Celles-là qui affrontent quotidiennement la faim, la soif, le soleil, la pluie, l’insécurité… bref, la misère. Ces héroïnes qui, avec le bout de leurs ongles, réalisent des prouesses. Grandir, nourrir, éduquer des enfants, le plus souvent sans l’aide d’un père ou sans aucune autre assistance. Raymond Calixte en est un exemple vivant.
Originaire de Jérémie, Raymonde Calixte, mince, cheveux gris, quelques rides au visage, a cinq enfants dont deux garçons et trois filles. La sexagénaire est entrée à Port-au-Prince en 1969. Elle n’avait que 12 ans. Raymonde adorait l’école, mais elle n’a même pas eu le privilège de boucler son certificat d’étude primaire. Elle était à l’école du soir et est arrivée en 4e année fondamentale.
Nous sommes en 1978. Quand, à 20 ans, la jeune Raymonde d’alors se voyait obliger de faire un choix : se lancer dans le commerce informel. Cependant, la mère de famille avait rapidement compris qu’elle a le commerce dans le sang. «J’ai toujours aimé le commerce. Je m’en sortais pas mal. J’en avais très tôt maitrisé les contours. Je me rappelle avoir débuté avec 60 gourdes que j’avais empruntées à une commère », raconte-t-elle, l’air songeur.
Tenter mille coups…
Raymonde comme tant d’autres Madan Sara, a dû tenter tous les coups. Pour amener de la nourriture sur la table, elle a trimée, et faire feu de tout bois. De marchande ambulante, à « Madan Sara » jusqu’à devenir vendeuse de nourriture cuite au marché, cette femme a vécu l’enfer. Tous les jours elle a dû affronter le soleil, la pluie, la poussière et les fumées des détritus qu’on brûle quotidiennement au marché. Raymonde Calixte se souvient de ses péripéties comme si c’était hier : « J’avais commencé avec une chaudière de soupe qui allait quintupler en peu de temps », explique la native de la cité du cacao. Le commerce grandissait. Mais le coup d’État de 1991 et l’embargo imposé à Haïti ont pesé lourd sur les activités de Madame Calixte.
Coup de massue: le marché la Coupe à Pétion-ville où elle menait ses activités a été incendié à deux reprises. La commerçante a tout perdu. Des milliers de gourdes de marchandises sont parties en fumée. Pourtant, Calixte n’était pas au bout de ses peines. Quelques semaines plus tard, alors qu’elle rentrait chez elle, des voleurs l’ont attaqué et l’ont dépouillé de tout, la recette du jour y comprise. Ce fut un cauchemar. « Après ce coup dur, j’ai passé plus d’une semaine sans pouvoir nourrir mes enfants, confie-t-elle », une once de tristesse dans la voix.
Mais elle se ne s’est pas laissée gagner par le découragement. Un mental de fer et un objectif grand la propulsait. À crédit, elle achète des denrées alimentaires de toutes sortes chez des paysans pour faire le périple vers la capitale. Du maïs, de la patate, de la mangue, de l’igname…., les marchandises sont diversifiées selon la saison.
S’oublier pour éduquer 5 enfants
« Pour éduquer mes enfants, je me suis tout bonnement négligée », lâche la mère de famille fièrement. Juchée sur les camions emplis de sacs, Raymonde brave le froid, l’insécurité, et s’expose à toutes sortes de risques. Transporter des marchandises à bord des camions ou Tap-tap souvent en état de délabrement, n’est pas chose aisée. « Parfois, quand le camion tombe en panne, on a dû dormir au cour du chemin, à même le sol ou abord de celui-ci », se remémore-t-elle. Qui pis est, des « Madan Sara », à la merci des malfrats, sont volées et parfois violées pendant la nuit, révèle la sexagénaire dans un soupire.
Réaliser l’impossible
Calixte peut aujourd’hui déposer le tablier et respirer. Elle est allée aux bouts de son rêve. Elle a mené le beau combat et a réussi. « Aujourd’hui, nous tous, ses enfants, avons bouclé nos études secondaires et avons tous fait des études universitaires. Nous avons tous un emploi stable grâce aux efforts surhumains de « Manmie » », explique la Béjamine de Madame Calixte avec gratitude. « Notre mère a connu toutes les vicissitudes de la vie, mais elle n’a jamais baissé les bras », déclare fièrement la trentenaire qui dit suivre les traces de sa mère. Elle est notre modèle et devrait l’être pour beaucoup d’autres jeunes », renchérit-elle.
Durant trente ans, Raymonde a assuré la survie de ses progénitures avec des moyens extrêmement limités. Pour y parvenir, elle a remué ciel et terre. Aux dires de ses enfants, Raymonde est une entrepreneure prototype qui mérite d’être couronnée, gratifiée, récompensée par des Hawards. Car elle a prouvé, et avant elle plusieurs autres « Madan Sara », que les femmes haïtiennes jugées importantes ne sont pas seulement ces tirées à 4 épingles dans des tailleurs somptueux qui s’expriment dans la langue de Molière. Elles sont aussi les « Madan Sara » ». Ces héroïnes qui, avec leur intelligence, leur force de travail, notamment leur cœur, réalisent des performances hors du commun.
Pour ces « Madan Sara », la vie est un combat. Un véritable sacrifice. Au péril de leur vie, elles ont su préparer et offrir à la société des citoyens et citoyennes conséquents. Des professionnels. À elles, de fières chandelles. Pour elles, des « grammy » !