Le 14 Août 2021, la République est frappée sévèrement par un séisme qui aggrave une situation socio- économique déjà très précaire. Entre les actions de l’Etat et celles de la Communauté Internationale, la solidarité entre les haïtiens est très remarquable sur les lieux de la catastrophe. Entre préventions et réponses, des actions citoyennes, sauvent des vies et des biens avec des moyens limités et une volonté sans egale.

Un concert de klaxons, des véhicules qui roulent dans toutes les directions, des piétons et des petits détaillants rendent moins facile la circulation. Trois Policiers sont remarqués sur cet axe routier très fréquenté de la ville pour contrôler tout contrevenant. Appuyé sur une voiture dont le feu arrière est brisé, un homme dans la trentaine directionne un passant. Nous sommes au boulevard des quatre chemins, à la ville des Cayes, Mardi 21 Septembre 2021. Il est 11 heures AM.

Environ un mois après le séisme du 14 Août dernier qui a fait plus de 2 000 morts selon les chiffres officiels, les cicatrices du drame n’étaient pas visibles à première vue. A la troisième ville du pays, on dirait tout fonctionne bien. Non.  Au fond, la ville porte les traces de la catastrophe. « Depuis le 14 Août dernier, nous sommes refugiés ici. Grâce à la générosité des dirigeants de l’Eglise de Mormon. 651 personnes, dont des enfants, des femmes enceintes et des handicapés trouvent refuge ici. Leurs maisons sont pour la plupart détruites ou endommagées », explique Francilia Charles, Porte-parole du comité de gestion du camp Mormon,  situé à la rue capitale.

Assise sous une tente qui dégage une chaleur insoutenable, Francilia ne cache pas ses frustrations. «Nous survivons ici grâce aux supports de certains citoyens de bonne volonté. Nous n’avons rien reçu de la part de l’Etat. Une organisation de Port-au-Prince nous a donné du riz, pour le moment nous ne disposons pas d’ingrédients pour la cuisson. Nous sommes des oubliés. Nous comptons que sur la générosité des citoyens pour continuer à survivre », ajoute la femme de 29 ans.

Collége Frère Odile Joseph, Cayes Crédit Photo : Jean-Louis Mosard

Des citoyens volent au secours des sinistrés

L’entrée de Lang des Gabions, un parc sportif de la ville,  est très mouvementée. Pourtant ce n’est pas pour accueillir un match  du championnat national comme d’habitude. Mais c’est ici que se loge le plus grand nombre de sinistré du séisme. Il suffit juste de franchir la porte d’entrée pour avoir une idée. Les conditions de vie  sont déplorables. Les toilettes sont débordées. Des morceaux de linges usés sont jetés à même le sol. Dans des logis construits, des familles s’adaptent comme elles peuvent. Au milieu, des jeunes se disputent  une partie de football.

Etonné par la quantité de gens remarqués sur place vers 14 heures, Yves Michel Charles nous certifie que cela ne représente pas le tiers des 308 familles qui y logent. Parce que, explique le secrétaire du comité, les gens vaquent à leurs occupations le jour, et rentrent à la tombée de la nuit. Concernant l’alimentation du camp en besoins de base, il nous confirme que dans les jours qui ont suivi la tragédie, ils étaient secourus par des aides venant des organisations citoyennes qui affluaient dans le Sud. Il précise que les actions de l’Etat sont négligeables par rapport à celles des citoyens d’ici et de la diaspora.

A environ 15 jours de la rentrée des classes prévue pour le 4 Octobre dans le grand Sud, cette mère de famille accompagnée de ses trois enfants dont deux filles ne sait à quel saint se vouer. La rentrée des classes est loin d’être une priorité pour elle. « Je n’ai même  pas les moyens pour donner de quoi manger à mes enfants. La rentrée des classes n’est pas la priorité du moment. Nous vivons grâce à l’aide des gens que Dieu envoient sur nos chemins », se lamente-t-elle, la main sous le visage.

Un autre responsable du camp qui requiert l’anonymat ne cache pas ses frustrations. « Quand il pleut c’est pire ! L’eau rentre de  partout, car la majorité ne dispose pas assez de matériels pour couvrir leurs logis. Durant le cyclone Grace qui s’abattait deux jours après le séisme, je ne pouvais pas m’empêcher de pleurer en regardant des gens qui passaient toute la nuit sous la pluie. Pourtant, les aides de l’Etat ou des ONG ne touchent pas les plus démunis ».

FEDERR, un modèle d’engagement citoyen à Randel, commune des Chardonnières  
Située à environ 72 km de la ville des Cayes, Chardonnières est baignée par la mer des Caraïbes. Là, les infrastructures socio-économiques sont quasi inexistantes.

Illustration du bâtiment fissuré de la Banque Nationale de Crédit – Crédit Photo Jean-Louis Mosard

Des femmes s’impliquent

A Randel, quartier difficile d’accès, situé à la première section communale, le Rassemblement des Femmes Dévoués pour la Rénovation (FEDERR)  compte 113 membres. Elles s’impliquent pour secourir la population locale, avec leurs propres moyens.

Coordonnatrice de l’organisation, Pluviose  Borgette nous informe avec fierté  que les secours sont apportés premièrement par la communauté elle-même. Dans cet endroit enclavé dans le massif de la hotte, elle se rappelle  de l’expérience de l’ouragan  dévastateur Matthew en 2016. Entre les maisons détruites, des pertes en vies humaines et de bétails, et la propagation du choléra, son organisation avait fait l’expérience d’aider dans un contexte difficile. 
  
Depuis le 14 Août dernier, le quartier  est encore sinistré comme de nombreuses communes du grand Sud. FEDERR se trouve sur la scène des secours ! Avec les moyens du bord, l’organisation apporte son soutien à des gens  qui manquent presque tout.

« Des gens qui avaient leurs maisons détruites sont reçus chez ceux dont les leurs restent debout. Il n’y a pas d’abris provisoires dans la communauté. L’entraide est le seul moyen qui nous aide à surmonter les difficultés en attendant, sans grand espoir d’autres secours », détaille la mère de famille qui a des proches disparus dans le massif de la hotte durant le séisme. 

La solidarité citoyenne, une denrée à cultiver

Selon Vital Duplexte, nous devons développer ces modèles de solidarité partout à travers le pays. Vivant à Port-au-Prince, il n’a pas tardé à apporter son soutien à sa zone natale. A travers l’Association des Jeunes Dynamiques de Randel (AJDRE), l’engagement est énorme.

La structure qu’il fait partie distribue, à partir des dons qu’ils collectent, de kits agricoles, alimentaires, sanitaires et scolaires. Mais aussi, deux psychologues ont fait le déplacement pour apporter un soutien psychologique aux victimes. Car, selon lui, l’aide doit aller plus loin que la distribution des produits, les traumatismes ne sont pas à négliger.

L’urgence d’éduquer pour éviter le pire

Haïti, de par sa position géographique, est un pays à risque. Entre les inondations, les cyclones, les ouragans, entre autres, liés aux conditions climatiques et météorologiques, l’histoire du pays est tristement riche en catastrophes. Mais aussi, le pays se situe sur une zone très active par rapport aux risques géologiques, provoqués par les mouvements de la terre comme les tremblements de terre.

L’un des plus grands problèmes d’Haïti c’est la conscience du risque au niveau de la population. Le frère Dufrène Auguste que nous avons rencontré  au secrétariat du collège Odile Joseph des Cayes connait bien la situation

« En Haïti, nous ne construisons pas en fonction des normes, mais plutôt en fonction de nos moyens », explique le sexagénaire. Nous habitons également là où nous voulons, sans respecter les règles d’urbanisme et d’aménagement du territoire, ajoute-t-il.

L’éducateur souligne que la solidarité citoyenne doit être le fruit de l’éducation à la citoyenneté. Depuis le drame du 12 janvier 2010, il nous confie que son établissement accentue  beaucoup sur l’éducation environnementale des élèves afin de former des éco-citoyens, car le pays est de plus en plus exposé aux risques. Surtout avec l’aggravation du phénomène des changements climatiques, le pays doit se préparer à affronter le pire.   
De l’avis de Pierre André qui a une formation en géographie et Histoire, l’éducation des gens est la plus grande urgence à gérer. Car, a-t-il regretté, « nous pourrions limiter les dégâts causés par les catastrophes, en écartant les croyances religieuses, ou en appliquant les consignes communiqués ». « Il faut continuer à enseigner les citoyens, conseille André, que l’île est condamnée à vivre avec ces phénomènes, mais ce sont nos rapports à l’environnement qui doivent changer à tout prix ».

Dans un pays frappé souvent par des catastrophes naturelles, l’engagement de ces citoyens montre qu’il ne faut pas attendre seulement l’aide de l’Etat ou des ONG. Le pays a besoin plus que jamais plus de  citoyens engagés dans des activités de prévention et de réponse aux  catastrophes. En attendant une implication plus profonde de la part de l’Etat, Ecolo Jeunes, Haïti-Climat, Coy Haïti, Planète Verte, sont autant d’initiatives citoyennes louables qui s’impliquent pour la transformation de l’environnement haïtien.

Si rien n’est fait, nous devons nous attendre à d’autres catastrophes plus regrettables, car le pays est toujours sur les failles, et le réchauffement climatique s’accélère. Ce qui va aggraver la situation sanitaire, économique et sociale de la nation. De plus, nous pourrons voir le  déplacement de flux plus importants de migrants pour  affronter la jungle meurtrière  de Darien en Amérique du Sud, à la poursuite du rêve  américain qui se  termine parfois par la mort ou la déportation.

Mosard Jean-Louis

Sources :
1-https://www.mde.gouv.ht

2-
https://ihsi.ayiti.digital

3- https://journals.openedition.org/etudescaribeennes/4851
4- https://haiticlimat.org