13 ans déjà. Haïti a connu l’un des évènements les plus tragiques de son histoire. Le séisme du 12 janvier 2010, 7.3 à l’échelle de Richter. Un Lourd bilan. Plus de 220 000 morts et 300 000 blessés selon des documents officiels. Les immeubles, maisons de résidence, comme les commerces, sont ras de terre. Terrifiant. Beaucoup de personnes se retrouvent dénudés. Un terrible choc. Face à ce cataclysme qui dépassait l’entendement, certains se sont tournés vers Dieu, d’autres lui ont tourné le dos.

11 janvier 2023, il est 9 heures du matin. Nous sommes à Fontamara 27, au petit marché appelé ‘Anba Mapou’. Nous rencontrons Joviana Saint Jean, une commerçante vêtue d’une robe à rayure noire et blanche. Elle nous reçoit devant son tréteau où sont étalées ses provisions alimentaires. La jeune femme nous raconte, comme si c’était hier, comment elle a vécu cet après-midi de janvier : « Je ne peux pas expliquer vraiment, c’était terrible. On ne savait pas où trouver nos familles, car tout était chambardé. Beaucoup de cadavres, des cris, du sang et un nuage d’épaisse poussière recouvrait tout Port-au-Prince« . Visage blafard, Joviane se souvient avoir tenu le bras de sa mère au moment où le sol s’est mis à trembler. C’était comme si tout allait s’écrouler sous ses pieds.
Une expérience qui allait marquer l’esprit de Joviane à jamais. Après le drame, elle se sentait seule, faible et insignifiante. C’est alors que Joviana, âgée aujourd’hui de 27 ans, allait se convertir au protestantisme. La résidente de Fontamara a désormais sa foi comme arme et bouclier.

« Je dis toujours que si le Seigneur ne l’avait pas voulu, je ne serais pas là aujourd’hui. Je décide donc de lui confier entièrement ma vie. Car je ne suis pas meilleure que les autres. Dieu m’a fait grâce », balance la commerçante soulevant les bras vers le ciel.

Embrasser l’église en signe de reconnaissance

10 heures un quart. Les minutes s’écoulent plus vite que d’habitude on dirait. Nous sommes à Fontamara 29, l’emplacement où s’était érigé l’hôtel Mon Désir, effondré lors de ce tremblement de terre avec plusieurs dizaines de personnes à l’intérieur. La température chauffe. L’air ambiant tape les passants sur les nerfs. Le bruit assourdissant des klaxons des véhicules et ceux des motocyclettes rajoutent une couche. Nous retrouvons Angel dans un petit resto bruyant. Noir et barbu, le jeune garçon nous fait un récit affligeant.

« Je ressentais la toute première secousse alors que je me dirigeais vers une station d’essence. Tout de suite, je me suis dit que c’est un tremblement de terre. Le temps d’arriver à la station, une deuxième secousse s’est produite. L’odeur du gaz propane qui a filtré, empeste l’air. Du coup, je disais qu’il fallait me déplacer », raconte Angel assis devant un plat de friture.

Pensant que ça pouvait exploser à tout moment, le frileux garçon qu’il était a pris ses jambes à son coup. Il a trébuché plusieurs fois, et s’est relevé. « Tout à coup le ciel devenait noir. J’ai entendu un bruit. L’installation de propane avait explosé. J’aurais pu laisser ma peau à l’instar de plusieurs autres personnes qui ont été tuées, calcinées par le feu. C’est Dieu qui m’a épargné », lâche Angel l’air pensif.

Photographies par Georges H. Rouzier/ Challenges

Proche de la quarantaine, Angel, actuellement membre d’une église, explique comment il est devenu aussi zélé : « Je me rendais rarement à l’église, mais après le séisme du 12 janvier 2010, j’ai décidé de me faire baptiser et de consacrer ma vie à L’Eternel », confie l’homme d’église, arguant que s’il est encore vivant aujourd’hui, c’est parce que Dieu l’a voulu. Selon lui, le servir devient un impératif.

Certains ont perdu la foi

Le soleil n’est pas loin d’atteindre son zénith. Portail Léogâne est dans toute sa laideur. Des bouteilles en plastiques, d’autres déchets organiques et des gravois forment une montagne de détritus. Sur place, nous interrogeons un marchand de « Kleren Tranpe ». Le visage graisseux, ce dernier avoue que le séisme l’a tout enlevé. « Aujourd’hui, je n’ai plus rien. Je n’ai même pas pu sauver mon petit de 4 ans », regrette le débrouillard.

Les souvenirs du 12 janvier 2010 lui traumatisent encore. Depuis ce jour, il est entré en rébellion contre Dieu pour n’avoir pas épargné son enfant. Pour lui, un Dieu d’amour ne peut pas laisser pareille chose arriver. Toutes ces souffrances m’ont littéralement éloigné de l’être appellé le tout puissant.

Ce n’est pas sa femme Marlène qui viendra dire le contraire. Elle était une chrétienne pratiquante avant le 12 janvier 2010, mais ce sinistre évènement allait tout changer.

« Pour moi, 12 janvier ne nous rapporte que tristesse, désolation et problèmes », s’exclame la mère de famille. Marlène n’arrive toujours pas à comprendre comment Dieu a pu lui faire ça, elle qui priait et fréquentait la maison du Seigneur jour et nuit. Elle a flanché, elle n’a plus la foi. « Je remettrai les pieds à l’église sauf si l’Eternel me rend à nouveau mon enfant, décédé dans mes bras, un jour après la catastrophe », soupire-t-elle essayant de contenir difficilement ses larmes.

Tailleur noir, ses yeux dissimulés derrière de grosses lunettes noires, Kimberly âgée de 30 ans, vient de participer à une messe d’action de grâce chantée en mémoire des victimes du 12 janvier 2010 dont sa meilleure amie. C’est de là qu’est née sa désassociation avec l’église. « Jusqu’à présent, il y a des gens qui portent des cicatrices dans leur propre corps. Des hommes, des femmes et des enfants, n’ont tout simplement pas répondu à l’appel ».

D’autres ont des traumas psychologiques, et ce n’est pas une partie de plaisir. Comme beaucoup d’autres, sa foi a été ébranlée après avoir vécu l’enfer lors de ce cataclysme.

Wandy CHARLES & Ernso DIEUVEIL