Cet après-midi du 12 janvier 2010, un séisme de magnitude 7.3 sur l’échelle de Richter a dévasté Port-au-Prince et ses alentours. Au lendemain du sinistre, nombreux sont ceux qui n’ont pas répondu à l’appel. Mais plus nombreux encore sont ceux qui vivent avec des séquelles et des traumatismes occasionnés par cette catastrophe naturelle qui s’est inscrite définitivement dans les annales du temps.

Il est 4h de l’après-midi, le jour commence doucement à décliner et le soleil poursuit sa course pour atteindre l’horizon. Un après-midi comme un autre, somme toute. Non, pas tout à fait. Car avant que le soleil atteigne l’horizon, un grondement sourd provenant des entrailles de la terre se fait entendre partout, et le sol se met à vaciller sous nos pieds. En seulement quelques secondes, la nuit s’abat sur Port-au-Prince et ses environs. Plus rien ne sera comme avant.

Des souvenirs douloureux

Boitillant, le corps endolori car un bloc a heurté sa partie droite, Matilia se dépêche de gagner sa maison à Fontamara. Elle espère que son fils Alan, qui travaille à la rue pavée, a pu rentrer sain et sauf à la maison. Fermant les yeux pendant un cours instant, la sexagénaire hésite à se confier sur ce qui s’est passé en cet après-midi du 12 janvier 2010.

Avec la gorge nouée et des larmes au coin des yeux, Matilia raconte qu’elle est retournée en ville le même soir, sur le lieu de travail du jeune garçon, cherchant autant parmi les vivants que parmi les cadavres qui s’amoncelaient dans les rues de Port-au-Prince ce soir-là: « J’ai cherché mon fils partout mais il me restait encore de l’espoir tant qu’on n’avait pas retrouvé son cadavre ».

Elle observe une pause, le temps de refouler un sanglot et lâche que Alan est resté sous les décombres et qu’elle n’a même pas pu récupérer son corps.

« On m’a dit qu’un mur lui était tombé dessus et ce n’est que plusieurs jours après qu’on a retrouvé le cadavre », précise-t-elle le visage crispé. « À ce moment-là, il ne restait plus grand chose, je n’ai pas pu enterrer mon fils », ne cesse-t-elle de répéter.

Tout de suite après les premières secousses, Sherly s’est précipitée à Bazile Moreau, l’établissement que fréquentait son fils de 16 ans, priant de le retrouver indemne. Là-bas, on lui a annoncé que Ralph Peterson Accédé a été blessé à la tête et qu’il s’était rendu à l’hôpital des Médecins Sans Frontières (MSF) de Martisant. Je l’ai cherché dans les hôpitaux, les morgues, les églises, je ne l’ai jamais revu. J’ai même envoyé le chercher en République dominicaine, mais c’était peine perdue, confit-elle. 13 ans après, la marchande de friture garde encore l’espoir de pouvoir serrer un jour son fils dans ses bras.

Les troubles post-séismes

Nombreux sont les signes qui ont été manifestés au lendemain du séisme, allant de la panique à la sidération, en passant par la peur, l’effroi, l’émoi ou tout carrément la folie

Johanne Refusé, psychologue et spécialiste de l’enfance, parle de symptômes post-traumatiques. Elle a travaillé avec une centaine de personnes dans un programme de clinique post-séisme mis sur pieds par Médecins Sans Frontières (MSF). Les répliques, ayant rappelé le séisme, ont provoqué de la panique, des tremblements, des palpitations, des insomnies et même des troubles alimentaires, informe la spécialiste.

Chez les enfants, Johanne Refusé a pu constater une peur viscérale de se séparer d’un adulte, des pleurs et des terreurs nocturnes. Beaucoup se sont refermés sur eux-mêmes et d’autres ont présenté des signes d’agitation constante, poursuit la psychologue.

13 années après, les séquelles du tremblement de terre sont encore présentes

En Haïti, avoir recours à une assistance psychologique est chose rare. La majorité des gens pensent qu’ils peuvent se passer du diagnostic du psychologue. De ce fait, beaucoup de personnes vivent avec des traumatismes non soignés, affirme Cassandre Denis, psychologue de formation. Nombreuses sont les victimes de stress post-traumatiques qui n’arrivent pas à rester longtemps dans un endroit fermé ou un bâtiment à plus d’un étage, surtout celles qui sont restées coincées sous les décombres pendant plusieurs jours.

Celles et ceux qui ont perdu des proches risquent de mettre beaucoup plus longtemps à se remettre, comme c’est le cas de cette dame dont un de ses fils est décédé lors du tremblement de terre du 12 janvier 2010 et un autre dans celui du 14 août 2021. Après le premier drame, elle est allée vivre à Jérémie. 11 ans après, un autre de ces enfants meurt dans le séisme du 14 août 2021, témoigne sa psychologue. Elle s’est trouvée dans une situation de réactualisation des événements, ajoute-t-elle.

Il est prouvé que le processus de deuil est important à la perte d’un proche, d’un être cher. La mise en terre est une étape vraiment cruciale dans ce processus d’après la psychologue Cassandre Denis, qui a travaillé avec des personnes présentant des troubles post-traumatismes. Dans le cas où le cadavre du proche n’a pas été retrouvé et si aucun procédé spirituel n’a été entamé pour aider la personne à surmonter ce deuil, cela peut engendrer des traumatismes sur le long terme car il y a une étape qui est sautée, le processus n’est pas achevé, explique-t-elle.

Goudou Goudou, un bruit que les haïtiens ne sont pas prêts d’oublier

Goudou Goudou, c’est le nom qu’ils ont mis sur ce grondement sourd qui martelait les oreilles pendant les quelques secondes qui ont précédé le tremblement de terre. Beaucoup déclarent que ce bruit les a poursuivi plusieurs mois, et parfois jusque dans leur sommeil. La professionnelle en santé mentale affirme qu’il y a des gens qui subissent encore des troubles de panique au passage d’un bulldozer. C’est un rappel qui renvoie le message d’un chapitre qui n’est pas clos, poursuit-elle.
« Ce n’est pas quelque chose qui va partir si rapidement, cela peut leur hanter durant toute leur vie. Un traumatisme ne se guérit pas du jour au lendemain », conclut la psychologue.

Francesca MINTOR