Pneus enflammés, barricades érigées, casses, scènes de pillage, attaques violentes contre des vies et biens : depuis le lundi 12 septembre, suite à l’annonce par le gouvernement de l’augmentation du prix du carburant, toutes les activités commerciales sont au point mort. Personne ne peut vaquer à ses occupations. La population s’est dit être prise en otage, se plaint d’être à court de ressources dans les ménages. Rien ne fonctionne. Hormis la protestation et la colère des manifestants qui tournent à plein régime. Seuls les protestataires paradent, pavanent, scandent des slogans les uns plus violents que les autres ; incendient, pillent, revendiquent, exigent…et jouent au cache-cache avec des agents des forces de l’ordre qui semblent dépasser par l’ampleur des événements. Et, encore, comme avant, on manquait, on manque et on en manquera de tout.

Pénuries et SOS

Les hôpitaux, les banques commerciales, les entreprises privées et publiques, même le petit commerce est pris dans l’étau de la furie populaire. La circulation est quasi impossible. Résultats : les manques s’accentuent, des besoins, pour le moins pressants se font sentir, des gens en souffrent, se plaignent, lancent des SOS, prennent leur mal en patience et espèrent.

« Depuis mardi, je suis enfermée chez moi. Sans rien à manger. Pas d’eau, ni de nourriture, ni d’argent non plus », se lamente une internaute

On est passé de la pénurie de carburant à une pénurie presque totale. De la période des fameux gallons jaunes à celle des gallons bleus. Des citoyens défilent, arpentent les rues, font des kilomètres à pied avec sous leurs bras des gallons bleus en quête d’eau potable, en plein cœur de la capitale, Port-au-Prince.

De Turgeau à Bois Verna, aux Bas-peu-de choses, la crise de l’eau pèse. Devant les rares stations à eau qui en fournit, c’est la grande foule. La queue. Bousculade, pagaille, affrontement entre acheteurs et vendeurs. Les nerfs sont à fleur de peau. Tout le monde se livre à un sauve-qui-peut. À place publique Carl-Bois, devant une boutique, le spectacle intrigue.

« Forme une ligne, ordonne le vendeur. ‘’Se moun pa w wap vann’’, vocifèrent certains acheteurs ». Le vendeur, à bout, décide de fermer sa boutique. La foule bouillonnante donne l’impression de s’aligner… Mais personne n’a revu le propriétaire…

Et, naturellement, comme d’habitude, le prix de l’eau flambe. 200 gourdes pour ‘’un 5 gallon’’ qu’on payait 50 gourdes autrefois. Le paquet d’eau vendu généralement par les petits détaillants se fait aussi rare et cher. 300 gourdes contre 150 avant.

« On ne peut plus trouver d’eau, ça fait des heures que je marche, j’ai été  à une boutique, le prix du bidon était exorbitant, je ne pouvais pas l’acheter », lâche Johanne, visiblement épuisée.

Même la compagnie Alaska au Portail-Léogane, se dit en rupture de stock. Porte close. Les citoyens et petits marchands qui étaient venus acheter sont repartis sans. Déçus, bredouilles et frustrés. « Depuis mercredi, les gens s’approvisionnent en eau à un rythme étonnant, en seulement deux jours nos stocks sont épuisés », explique Mario, l’agent de sécurité de la compagnie.

On est passé du temps des appels à l’aide au grand temps des SOS. Quiconque surfe sur les réseaux sociaux s’en tiendra compte. Pourra lire la publication d’une maman cloitrée chez elle avec son bébé sans eau potable qui lance son cri de détresse : « Au secours, mon nouveau-né a soif et je n’ai pas d’eau potable pour approvisionner son biberon », a-t-elle écrit. Une publication reprise et partager par de nombreux internautes, comme pour pousser le message à destination. « Prenez de l’eau limpide, faites la bouillir puis après son refroidissement, tu peux en donner au bébé », a posté une internaute qui revêt son costume de conseiller et de secouriste.

« Nous avons vraiment faim, et nous ne pouvons rien manger », s’amuse ironiquement Nathalie, une internaute sur son compte Facebook. Les marchés et boutiques sont vides, sinon presque. Le transport des denrées alimentaires des provinces vers la capitale, déjà en proie à l’insécurité, est tout bonnement à l’arrêt.

Les rares paysans qui risquaient leur peau ne peuvent plus se rendre dans les espaces urbains pour écouler leurs produits alimentaires. Pas moyen de circuler. La famine poursuit sa course folle, s’installe de plus en plus dans les familles haïtiennes. Les estomacs creux centuplent et crient au secours. Au marché de Salomon, au bas de la ville, on n’en trouve presque rien à acheter. Les quelques denrées défectueuses, étalées a même la chaussé, coutent les yeux de la tête. Cette situation intrigue Jean Marc. « Le prix des produits explose d’un seul coup, après avoir dépensé 3 mille 500 gourdes, je rentre à la maison avec mon sac presque vide », déplore-t-il

Hôpitaux et centres carcéraux font les frais.

Dans les hôpitaux, c’est le branle-bas. Pas d’eau, pas de médicaments, pas de nourriture, pas d’énergie…Le carburant était longtemps un produit rare. À l’hôpital de l’Université d’Etat d’Haïti dit l’hôpital général, une vidéo circulant sur les réseaux montrent des malades qui témoignent avoir passé cinq jours sans se laver. Plusieurs jours sans rien manger et qu’il leur faut d’énormes acrobaties pour trouver de l’eau à boire. « Je n’ai rien mangé depuis trois jours, c’est un bon samaritain qui m’a fait don de deux poches d’eau hier », se plaint un vieillard qui porte un cathéter.

Les médecins et d’autres personnel de santé se montrent plus réservés, atténuent la réalité qu’ils considèrent comme une honte. Éthique professionnelle, mais surtout prestige obligent. D’autres toubibs lancent des SOS pour le plus grand centre hospitalier du pays, qui craquait déjà sous le poids du manque. « Nous faisons appel à l’Etat central, nous ne pouvons plus prodiguer des soins aux malades qui crèvent, nous ne disposons d’aucun moyen », se désole le médecin « la génératrice ne fonctionne pas, il n’y a même pas d’eau courante », ajoute-t-il.

Au pénitencier national, la situation n’est pas différente. Les prisonniers, déjà dans une extrême précarité, sont aux abois. L’avocat Arnel Remy n’a pas manqué de tirer la sonnette d’alarme. « Les détenus au pénitencier national vivent l’enfer, déjà cinq jours qu’ils n’ont pas mangés, ils n’ont pas d’eau pour pouvoir se doucher. Si cette pénurie continue beaucoup d’entre eux mourront. C’est l’une des premières conséquences de l’augmentation du prix de l’essence », a tweeté le professionnel de la basoche.

Comme pour nous dire que les mauvaises habitudes ont la vie dure, le lock revient presque un an après, avec évidemment son lot de malheurs. Haïti s’abrite dans un éternel retour. Il repartira et nous quittera avec une pléthore de pénuries. D’autant plus que la menace de la tempête Fiona plane sur le pays. L’ouragan a déjà fait un mort en Guadeloupe et des dégâts matériels considérables dans la région. La République Dominicaine subit déjà de plein fouet le passage du cyclone. Haïti, en lambeaux, au temps des pénuries, des SOS attend l’arrivée de Fiona ce lundi 19 septembre. On appelle la population à être vigilante, on imagine déjà notre misère et les pénuries décupler après le passage de Fiona. Entre temps, le gouvernement ne rétracte pas sur sa décision de hausser les prix à la pompe qui a soulevé la colère du peuple, et n’annonce aucune mesure face à la menace que représente la tempête Fiona.

Miwatson ST JOUR