La question de la compétence juridictionnelle se pose-t-elle à l’État américain dans l’assassinat du Président Jovenel Moïse?

Le principe général voudrait que la juridiction compétente pour connaitre d’un crime soit celle définie par l’Etat au lieu duquel tel crime aura été commis. Mais le Droit n’est fait que d’exception. Ou de règles exceptionnelles. Beaucoup se demandent si les tribunaux et cours américains ont juridiction sur un crime commis en Haïti, et encore sur un Haïtien. Tel le cas de l’ancien Président Jovenel Moïse assassiné, selon les nouvelles, chez lui le 7 juillet 202. Si vous êtes pressés, la réponse est oui. Ainsi la vraie question reste pourquoi ?

Le statut de la victime

Au regard de la Convention sur la prévention et la répression des infractions contre les personnes jouissant d’une protection internationale, y compris les agents diplomatiques, conclue à New York le 14 décembre 1973, approuvée par l’Assemblée fédérale le 29 novembre, le statut de la victime constitue une raison suffisante pour donner compétence aux Etats parties notamment.

Il suffit que la victime jouisse d’une « protection internationale, tel : « tout chef d’Etat, y compris chaque membre d’un organe collégial remplissant en vertu de la constitution de l’Etat considéré les fonctions de chef d’Etat; de tout chef de gouvernement ou de tout ministre des affaires étrangères, lorsqu’une telle personne se trouve dans un Etat étranger, ainsi que des membres de sa famille qui l’accompagnent » (art. 2).

La citoyenneté de l’auteur de l’infraction

Mais il n’y a pas que le statut pour déterminer la compétence juridictionnelle de l’Etat: « Tout Etat partie prend les mesures nécessaires pour établir sa compétence aux fins de connaître des infractions prévues à l’article 2 dans les cas ci-après: a) lorsque l’infraction est commise sur le territoire dudit Etat ou à bord d’un navire ou d’un aéronef immatriculé dans ledit Etat; b) lorsque l’auteur présumé de l’infraction a la nationalité dudit Etat; c) lorsque l’infraction est commise contre une personne jouissant d’une protection internationale au sens de l’article premier, qui jouit de ce statut en vertu même des fonctions qu’elle exerce au nom dudit Etat » (art. 3). En effet, il suffit que l’auteur (ou seulement l’un des auteurs) de l’infraction possède la nation de tel Etat pour le rendre compétent.

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Une exigence d’information

Si tout Etat peut et même doit ainsi établir sa compétence juridictionnelle en cas de crime contre une « personne jouissant d’une protection internationale », il est astreint à l’obligation d’information à l’égard de l’Etat duquel la victime est le ressortissant : « Lorsqu’une ou plusieurs des infractions prévues à l’article 2 ont été commises contre une personne jouissant d’une protection internationale, tout Etat partie qui dispose de renseignements concernant tant la victime que les circonstances de l’infraction s’efforce de les communiquer, dans les conditions prévues par sa législation interne, en temps utile et sous forme complète, à l’Etat partie au nom duquel ladite personne exerçait ses fonctions. » (art.5.2)

Aucune obligation de traite d’extradition préalable

En général un traité d’extradition entre deux Etats offre l’opportunité de poursuites contre le délinquant. Mais il n’y a pas d’obstacle de cette nature en pareil cas : « 1. Pour autant que les infractions prévues à l’article 2 ne figurent pas sur la liste de cas d’extradition dans un traité d’extradition en vigueur entre les Etats parties, elles sont considérées comme y étant comprises. Les Etats parties s’engagent à comprendre ces infractions comme cas d’extradition dans tout traité d’extradition à conclure entre eux. » (art. 8.1)

La compétence universelle ouvre l’extraterritorialité

Comme toujours, le Droit procède par fiction. Ainsi en va-t-il dans ce cadre du principe de territorialité. Car pour ces infractions, l’Etat intéressé fera comme si, et de Droit. Lisez : « Entre Etats parties, ces infractions sont considérées aux fins d’extradition comme ayant été commises tant au lieu de leur perpétration que sur le territoire des Etats tenus d’établir leur compétence en vertu du paragraphe 1 de l’article 3. » (art. 8.4). Sans oublier la réalité que nous voudrions voiler : la force détermine le Droit.

 

Jean Junior F. Tibère

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