« La moto est le seul élément en Haïti qui soit véritablement national ». Le constat est fait par l’organisation STOP Accidents. Ce véhicule devient quasi incontournable. Moyen de transport préféré ou imposé, il a la cote dans le « milieu populaire » et s’est aussi installé dans nos villes de province. De plus en plus de jeunes s’y intéressent, soit pour faire un peu de pognons, soit pour se déplacer tout simplement. Impliquée dans la majorité des actes d’insécurité et des cas d’accident, la motocyclette est-elle un « mal nécessaire » ?

La moto comme gagne-pain

Rue Charlemagne Péralte, Morne Hercule (Pétion-ville), 10h 13 AM. Des coups de klaxons retentissent. Une rangée de moto entre le trottoir et la chaussée. Les passants sont sollicités, harcelés même par les conducteurs. Parmi eux, Robenson Noë agé de 23 ans. Silhouette frêle, jeans et jacquets, un casque accroché aux guidons de son véhicule, il est à la station de moto depuis 6h 45 AM. Cela fait 5 ans depuis qu’il a quitté l’école pour devenir chauffeur de taxi moto. « Cette moto est ma vie, elle est tout ce que j’ai », confie ce jeune qui s’est réfugié sur une galerie fuyant le soleil. Robenson explique que la journée n’apportera pas grand-chose s’il ne se lève pas de très tôt. Et des fois, même avec cette stratégie, il est très difficile pour lui de réaliser les 500 gourdes pour payer la location journalière de la moto. « Chaque jour je suis obligé de venir ici; c’est mon unique activité sinon je pourrai ni manger ni m’acheter des habits, nous raconte Robenson Noël tout en souriant à mesure qu’un client s’approchait.

La réalité de Robenson est loin d’être unique. De nos jours, avec la dégradation accélérée des conditions de vies des couches les plus vulnérables, le taxi moto devient un moyen sûr de se faire un peu d’argents. Nombreux sont les jeunes qui abandonnent l’école pour s’y adonner. Certains jeunes ne déposent plus de CV, mais rassemblent par tous les moyens, de quoi s’acheter une moto. Après deux jours d’apprentissage sur un terrain vague, les voilà chauffeurs de taxi moto. Peu habiles, ces jeunes se font tuer ou sont souvent choqués dans des accidents sur la voie publique à la longueur de journée.

La Moto blesse et tue…

10h 42, la station de motocyclette de la Rue Charlemagne Peralte à Morne Hercule est presque vide. Tous les conducteurs ont trouvé preneurs. Joubert est lui aussi un chauffeur de taxi moto, mais il ne travaille pas ces temps-ci. Il s’est fait récemment renversé par une camionnette alors qu’il prenait un virage. Il a eu la jambe cassée et un traumatisme crânien. Son passager-client n’a, malheureusement, pas eu la vie sauve. Joubert doit se rendre à l’hôpital pour enlever le plâtre de sa jambe et avoir les résultats d’un IRM. « C’est mon 4e accident en moins d’un mois », nous confie le jeune, soutenu par deux béquilles. « Mais je n’ai pas le choix », relativise-t-il, car ma survie et celle de ma famille dépendent de l’activité de taxi moto. Mais il reconnait que conduire une moto dans les rues de Port-au-Prince et ceci tous les jours, est un risque élevé. En plus, il avoue que ses pairs sont souvent des amateurs en matière de conduite.

Ils roulent toujours trop vites, ils acceptent des fois 3 passagers sur la moto et ne respectent souvent ou ne connaissent pas tout simplement les principes du code de la route. Résultat : plusieurs de ses amis vivent aujourd’hui avec, au moins, un membre manquant quand ils ne se font pas tuer dans des accidents de la circulation.

Un accéssoir de crime pour les bandits

La motocyclette est aussi devenue le moyen de locomotion de prédilection des malfrats. Il est rare qu’un assassinat ou un braquage ne soit perpétrée à l’aide de ce véhicule à deux roues. Dans les infos, dans les rapports de police, les attaques de bandits armés ont un dénominateur commun : la moto. Et l’on comprend aisément cette préférence des truands pour la motocyclette. « Vue le nombre de ce véhicule en circulation dans les rues de Port-au-Prince, il est très facile de se fondre dans la masse. En plus, ce secteur échappe au contrôle des autorités constituées (Mairies, Police, Ministères) », lâche un policier ayant requis l’anonymat. Du coup les bandits s’en donnent à cœur joie. À bord de leurs motos, ils volent, tuent, braquent et enlèvent de paisibles citoyens sans avoir à s’inquiéter.

Daniel Pierre, jeune médecin, en a fait la dure expérience et en garde un goût amer. Son grand frère, un ingénieur, revenait d’une banque commerciale quand il a été attaqué par 4 individus armés à bord de deux motos. Les malfrats ont criblé de balle sa voiture avant d’emporter le montant de la transaction. Depuis ce jour, ce jeune docteur a les motocyclettes en aversion. « Non seulement je ne prends jamais de moto, mais je les ai toujours à l’œil quand je suis sur la route ou à bord de ma voiture », soutient Daniel Pierre.

Charmith, 25 ans, est étudiante en sciences administratives à l’Institut des Hautes Études Commerciales et Économiques. Elle était une adepte de la moto en raison de ces cours du soir. Un jour elle a failli laisser sa peau après qu’un pseudo chauffeur l’a dépouillé de tous effets personnels dans une impasse ténébreuse et peu fréquentée. La jeune fille se rappelle de la scène comme si c’était hier. « J’étais pressée, j’avais un cours à 5h PM. J’ai laissé mon travail à 4h et j’avais pris une camionnette. Je me suis rendue compte qu’avec l’embouteillage, j’allais être complètement en retard. J’ai décidé de prendre une moto. L’horloge marquait 5h13. Le chauffeur me disait qu’il va emprunter des raccourcis question d’éviter le bouchon. Arrivé à une impasse sombre, il a sorti son arme et m’a dépouillé », raconte Charmith pensive. Et depuis lors, elle a décidé de ne plus s’offrir les services des taxis moto.

Au cours de cette intervention la police a saisi :
– 3 fusils 12 et 17 cartouches.
– 1 mini Uzi muni de silencieux et un chargeur
– 1 pistolet 9 mm
– 4 motocyclettes
– 1 compresseur
– 2 pinces coupantes
– 1 passeport
– Une paire de plaques
(2/3) pic.twitter.com/VNVV7mCxui

— PNH (@pnh_officiel) August 12, 2021

 

Régulariser « le secteur de la motocyclette » est une urgente nécessité

Sur ce point, le coordonnateur de l’organisation Stop Accident est on ne peut plus clair mais surtout tranchant. « Si l’État haïtien ne se penche pas sérieusement sur le fonctionnement anormal des motocyclettes, ce véhicule décimera en silence nos concitoyens et les jeunes en particulier », prévoit Dr Garnel Michel. Selon lui, la moto est impliquée dans presque tous les évènements : accidents, assassinats, protestations populaires et transports en commun. Étant donné que sa présence est nationale, les conséquences liées à sa constance le sont aussi. « La moto s’est invitée même dans nos sections communales les plus reculées », révèle Garnel Michel stupéfait.

Illustration d’un chauffeur de motocyclette à Port-au-Prince – Crédit Photo : Thimoté Jackson

 

La nature a horreur du vide

« Vu son caractère pratique et les manquements en matières d’infrastructures, de légalité et de développement en Haïti, la moto est utile à bien des choses dans le pays », reconnait M. Michel. Pour transporter un cadavre, un cercueil, des bars de fer, un réfrigérateur ; pour se rendre au marché, à l’hôpital, au travail et même à une réunion importante, le dépanneur par excellence s’appelle : la moto.

« Pourtant, il n’existe jusqu’à ce jour aucune moto-école en Haïti », souligne le responsable de l’Organisation STOP Accidents. Garnel Michel indique que tous les chauffeurs de motocyclette qui circulent dans les rues, n’ont pas appris à piloter ce véhicule dans un centre d’apprentissage mais sur un terrain vague. Certains d’entre eux, avant même de pouvoir maitriser l’engin, finissent à l’hôpital ou malheureusement à la morgue.

En plus de leur maladresse, les conducteurs de motocyclettes refusent de se plier aux exigences de sécurité mises en place pour leur propre protection. « Par exemple, ils refusent catégoriquement de porter des casques », déplorent le docteur Michel. Selon une enquête diligentée par l’organisation STOP Accidents de concert avec des acteurs étatiques et de la société civile, seulement 8% des conducteurs de moto acceptent d’enfiler un casque. Or les causes principales de la majorité de décès en cas d’accidents de la circulation sont dues soit à un traumatisme crânien sévère soit à une hémorragie.

Fort de ces constats, STOP Accidents tire la sonnette d’alarme sur l’urgente nécessité pour l’État haïtien de régulariser le secteur de la moto. Le premier pas serait de réglementer le problème de circulation routière elle-même. À partir de là, les cas d’accidents et le problème de l’insécurité seront adressés et résolus en partie. Sans oublier que cela doit passer par un contrôle rigoureux depuis la vente, l’achat, jusqu’à la circulation du véhicule sur la voie publique.

Wandy CHARLES et Erickson ALCIN