En Haïti, des femmes continuent de se faire avorter dans l’illégalité et dans la clandestinité. Alors que l’avortement est la troisième cause de mortalité maternelle enregistrée jusque-là. Les motifs de l’Interruption Volontaire de Grossesse (IVG) sont divers, les méthodes utilisées varient du milieu rural au milieu urbain. Les impacts de cette pratique sur la femme qui se fait avortée, souvent négligés, sont à prendre en compte.

Selon les résultats de l’étude EMMUS-3 effectuée en Haïti, la fréquence de l’avortement augmente avec l’âge de la femme et le nombre d’enfants vivants : « 16 % des femmes de 40-49 ans ont avoué avoir avorté, au moins, une fois au cours de leur vie contre 4 % de 25-29 ans. De plus, parmi les femmes de 40-49 ans, 10 % ont effectué un seul avortement tandis que 6 % ont déclaré avoir avorté deux fois ou plus ».

Chantale*, cette dame âgée aujourd’hui de 50 ans, qui a dû faire face à un avortement, expose son histoire. « J’ai avorté trois fois, ma situation financière m’y a poussé. Je n’avais que deux enfants en bas âge lorsque j’ai fait mon premier avortement. L’argent que gagnait mon mari ne pouvait subvenir aux besoins de la maison. Après mon troisième avortement, mon médecin m’a fait comprendre que si je continuais dans cette voie, cela pourrait nuire à ma santé. Lorsque je suis tombée enceinte quelques années plus tard, je voulais garder l’enfant, mais j’ai fait une fausse-couche », confie-t-elle avec regret.

Les risques augmentent à compter du 4e mois.

La majorité des femmes ont avorté entre 2 et 4 mois de grossesse soit 73 %. C’est le cas de Josette* âgée de 25 ans qui a eu recours à un avortement cinq années auparavant. « Au début de ma grossesse, je ne voulais pas avorter. Mon petit ami de l’époque avait déjà des enfants, il ne voulait pas d’un autre, en tout cas pas tout de suite. Au 4e mois, j’ai essayé de mettre un terme à ma grossesse, de l’injection à des comprimés, rien n’y fît. J’étais obligée de passer par le curetage », témoigne Josette*.

L’IVG devient dangereuse lorsque la grossesse est à un stade avancé. Docteur Jovens Antoine, géneraliste, décrit les complications résultant d’un avortement. « C’est un grand risque de se faire avorter après 4 mois de grossesse, car tous les organes du bébé sont déjà formés. L’IVG peut engendrer la stérilité parce que l’utérus est perforé. Un avortement peut causer une hémorragie lorsque l’interruption n’est pas complète. Cela peut déboucher sur une infection où la personne doit procéder à une hystérectomie (un acte chirurgical qui consiste à enlever l’utérus) ou à même une septicémie où l’infection devient générale, ce qui peut provoquer la mort de la femme qui s’est fait avortée », déclare-t-il.

Selon l’étude de l’Emmus-5, les données montrent que les femmes ont recours principalement à deux méthodes : le misoprostol (39 %) et la dilatation et curetage/aspiration (36 %). Dans un cas sur quatre, les femmes ont utilisé des plantes/décoctions (26 %) et un quart des femmes ont utilisé des injections ou comprimés (25 %).

« Le misoprostol ou Cytotec est un médicament sous forme de comprimés qui est apte à bloquer l’action de la grossesse. Il dilate le col de l’utérus, provoque des contractions et expulse le foetus. Toutefois, le cytotec est un médicament prescrit généralement contre l’ulcère, son effet secondaire entraîne l’interruption de grossesse »,

ajoute Docteur Antoine.

« Je suis tombée enceinte à l’âge de 19 ans, je ne voulais pas d’un enfant. Sous le conseil de mon petit ami, j’ai ingéré 3 comprimés de cytotec avec de la bière. Pendant plusieurs semaines, j’ai ressenti des malaises au niveau de l’estomac, de mon ventre et des nausées à répétitions. Heureusement, la grossesse a été interrompue », raconte Nadège*.

Cependant, l’interruption volontaire de la grossesse traine derrière elle parfois des séquelles psychologiques considérable chez la femme ayant eu recours à l’avortement.

L’avortement laisse des marques

Que ce soit sous la contrainte ou sous une décision consciente, mettre un terme à une grossesse, a des effets psychosociaux sur la mère. Le psychologue, Peterson Antenor explique les sentiments qui sont susceptibles d’envahir une femme qui s’est faite avortée sont multiples.

« Une femme qui s’est faite avortée est non seulement en proie  des tensions ou mêmes troubles psychologiques (trouble anxieux, dépression, stress, idées suicidaires), mais aussi  des facteurs qui peuvent influencer son rapport  soi et aussi avec les autres (sentiment de honte, d’humiliation, peur d’être jugé et d’être rejeter par son entourage). Ces femmes peuvent ressentir un sentiment de culpabilité  cause des pressions de leur entourage et aussi à cause de leur moral ou leur représentation de l’avortement. La culpabilité peut être ressentie  cause du fait que la femme ou le couple se dit qu’il aurait du avoir une relation sexuelle protégée », explique le psychologue.

Cependant, le disciple de Kurt Lewin precise que chaque femme fait face à cette situation différemment. Cela dépend de ses valeurs, sa socialisation et les conditions dans lesquelles elle s’est faite avortée.

« Ce sont l’ensemble de ses éléments (valeur ; socialisation ; milieu de socialisation) qui vont influencer le mécanisme par lequel une femme ou un couple évitera diverses complications d’ordres psychosociaux, mais aussi physiques. La femme qui s’est faite avortée doit compter sur le soutien de son entourage qui ne doit pas porter de jugements sur son acte. Son entourage ou ses proches doivent l’accompagner dans les moments angoissants afin qu’elle puisse passer le cap. Si cette aide n’est pas trouvée dans son entourage, la femme doit se référer  des professionnels en santé mentale pour l’aider  redonner un sens et pouvoir vivre normalement après l’acte », recommande le psychologue Peterson Antenor.

En 2021 encore, l’Interruption Volontaire de Grossesse (IVG) est illégale en Haïti. Cependant le nouveau code pénal en son article 328 propose d’abroger l’article 262 du code pénal de 1825 qui incriminait l’avortement.

Dans ce code pénal qui entrera en vigueur en juin 2022, cette pratique sera dépénalisée. Et l’article 328 dicte : « l‘Interruption de la grossesse pratiquée sans le consentement libre et éclairé de la gestante, ou au-delà du délai de douze semaines, ou en méconnaissance des exigences de la science médicale est passible d’un emprisonnement de cinq ans à sept ans et d’une amende de 50 000 gourdes à 100 000 gourdes. Quiconque, en dehors des exigences de la science médicale, par aliments, breuvages, médicaments ou autres, aura provoqué l’avortement d’une femme enceinte sans son consentement est passible des mêmes peines. La peine est la même si l’avortement est provoqué par la violence physique. Les médecins, chirurgiens, les autres officiers de santé et les pharmaciens qui auront indiqué ou administré ces moyens seront condamnés à la même peine si l’avortement s’en est suivi. Il n’y a pas d’infraction lorsque la grossesse résulte d’un viol ou d’un inceste ou lorsque la santé physique ou mentale de la femme est en danger ».

Pharah-Djine Colin