« Fouetter les enfants selon ce que dit la bible » est-elle une bonne pratique ?
Pas moins de 38 versets de la bible ont fait mention de la notion de châtiments corporels, parmi eux, plus d’une dizaine ciblent les enfants. Le poids des croyances religieuses sur les châtiments corporels dans les familles est un lourd fardeau que l’organisation World Vision, à travers sa campagne «Ensemble éliminons la violence sur les enfants», propose de supprimer par la nécessité d’une éducation socioreligieuse et l’élaboration d’un cadre légal approprié.
«La folie est ancrée au cœur de l’enfant, le fouet bien appliqué l’en délivre», écrit noir sur blanc un des livres de la bible, les Proverbes, dans le chapitre 22 verset 15. Ce livre traditionnellement attribué au roi Salomon, mais qui s’échelonnerait en fait entre le Xe et le Ve siècle av. J.-C., considère, non seulement, utile le châtiment corporel à l’égard des enfants, mais aussi indispensable et le prescrit, en ce sens comme une posologie, aux croyants, qui appliquent à la lettre la parole dite de Dieu.
Ce châtiment sacré et divin qu’est le fait d’infliger à l’enfant une forme de douleur physique dans le but de le punir, vu qu’il implique les droits de l’homme et les droits des enfants devient une préoccupation pour l’organisation non-gouvernementale World Vision, qui, vise, sans vouloir offenser quel que soit la religion, une nouvelle forme d’éducation socioreligieuse adaptée au contexte de droit de nos jours.
Quoi que, la conception est durcit dans le livre des Proverbes chapitre 13 verset 23 où l’enfant est considéré comme ‘’porteur du péché originel’’. Fedorah Pierre Louis, Directrice de l’Engagement public de l’organisation World Vision, croit qu’il peut y avoir d’autres issus pour corriger un enfant et pense que les châtiments inscrits dans la Bible sont d’ordres interprétatifs. Dans le même chapitre (Proverbes 13) il est écrit : «Celui qui ménage les verges hait son fils ! Mais celui qui l’aime le corrige de bonne heure.» Quel amour ! Comme contre argument, madame Fedorah souligne le fait que dans cette même Bible, surtout le Nouveau Testament une nouvelle conception de l’enfant a été développée par l’envoyé de Dieu : Jésus Christ. «Je ne pense pas que châtier ou punir un enfant signifie littéralement le fouetter, l’agresser physiquement ni le martyriser» déclare-t-elle. La Directrice de l’Engagement public de l’organisation dit penser, s’il est vrai que le Bon Dieu aime autant les hommes comme l’explique la Bible des chrétiens cet amour ne saurait être témoigné sous fond de violence.
Cette forme de sentiment liée à la violence imposée par la sainte Bible, ou du moins par son interprétation, fait état de toute une idéologie de brutalité dans la communauté chrétienne d’Haïti notamment chez les protestants selon le jeune psychologue et juriste, Richard B. Noël. Pour appliquer cette idéologie, plusieurs mécanismes se sont mis en place d’après ce que rapportent plusieurs dirigeants d’église de la capitale. L’école dominicale et le dimanche de la famille sont entre autres, les premiers cultes pour faire passer le message. À travers le premier culte cité, les monitrices expliquent souvent aux enfants les raisons pour lesquelles ils sont fouettés tandis que dans le deuxième, présenté au moins une fois par mois, ce sont les chefs religieux, érigés en prédicateur, qui moralisent les parents en leur rappelant que pour être bien élevé un enfant doit être fouetté.
Des chrétiennes comme la ‘’sœur’’ Mathilde Altémé, âgée aujourd’hui de 89 ans, et fidèle de l’église ‘’Pentecostal-Unis‘’ depuis presque 60 ans, dit croire dans la pratique de la verge pour corriger un enfant. À preuve selon la vielle dame : Les rigwaz (sorte de fouet en cuir) l’ont aidé à élever ces enfants sur le chemin de l’évangile. «Je n’étais pas tolérante avec mes enfants, je leur faisais marcher à la lettre, et aujourd’hui, ils me remercient tous pour les avoir donné une éducation de rigueur».
L’octogénaire qui est actuellement sénile paraphrase en balbutiant des bouts de versets de la Bible dans lequel elle dit croire depuis toujours pour prescrire une éducation chrétienne à ses enfants. Des versets qui se trouvent précisément dans le livre d’Ecclésiaste: «Qui aime son fils lui prodigue le fouet, plus tard, ce fils sera sa consolation.» dans le chapitre 30 verset 1 ; «Cajole ton enfant, il te causera des surprises, joue avec lui, il te fera pleurer» chapitre 30 verset 9. Selon ce livre, le parent d’un enfant doit lui faire : «courber l’échine pendant sa jeunesse, meurtris-lui les côtes tant qu’il est enfant, de crainte que, révolté, il ne désobéisse et que les parents n’en éprouves de la peine» dans le Chapitre 30 verset 12.
Des châtiments au nom de quel amour ?
Néhémie Joseph, monitrice de l’école dominicale des enfants à l’Eglise Baptiste Conservatrice, raconte que, souvent, elle enseigne des histoires bibliques aux enfants accompagnés de versets ayant rapport avec le fouet de manière à ce que leur volonté de commettre des dérives soit dissuadée. «Quelques rares fois nous infligeons des peines ou des coups à l’enfant pour le corriger et lui montrer le droit chemin qu’enseigne la bible» martèle la jeune femme de 26 ans sous fond de croyance. «Mais jamais nous les aurions fait du mal de façon à ce que les coups laissent des cicatrices ou du moins des impacts sur les enfants» rajoute-t-elle
Et pourtant, Madame Fénelon Jonas, mère de deux enfants, âgée de 53 ans, fidèle remarquable de l’Eglise Missionnaire de Port-au-Prince, situé à Fontamara 27 au numéro 14 de la rue Barreau, dirigée par le pasteur Josué Michel, dit croire que c’est une bonne manière d’endoctriner les enfants sur ce que dit la parole de Dieu. Pour elle, une famille chrétienne ne saurait laissée ces enfants à la dérive. Néanmoins, pas avec le fouet, puisqu’il existe d’autres formes de punition.
Le professeur psychologue Jean Robert Desrosiers dit qu’à sa connaissance les fouets ont généralement de graves conséquences sur la personnalité des enfants. Selon le psychologue qui fait référence à un auteur de cette discipline, Norbert Silamy, (Dictionnaire de psychologie, 1989) pour définir la personnalité. Selon Norbert Silamy la personnalité est « comme un élément stable de la conduite d’une personne différente d’autrui, car chaque individu, a ses particularités intellectuelles, affectives et conatives ”. « Tant qu’un adulte a été frappé à coup de fouet dans son enfance, il a tendance à perpétuer la violence sur ces enfants» rapporte le psychologue. Contrairement à la Bible, le professeur Desrosiers rappelle que des études scientifiques prouvent que la majorité des enfants battus ont tendance à agresser leurs parents.
Un discours corroboré par Richard B. Noël qui exemplifie en précisant que : «Le cortisol est l’hormone du stress. En cas de l’utilisation du châtiment corporel il provoque une augmentation de la production cette hormone. Du coup, un enfant qui en subit constamment est susceptible d’être toujours stressé». Ce qui selon M. Jean Robert, professeur de psychologie à l’université précisément à la Faculté des Sciences Humaines (FASCH) constitue un danger pour la base de la société haïtienne que sont les familles.
Entre dogmes religieux et prescriptions légales
La Constitution haïtienne, dans son article 261, protège les droits de l’enfant et stipule : « La Loi assure la protection à tous les Enfants. Tout enfant a droit à l’amour, à l’affection, à la compréhension et aux soins moraux et matériels de son père et de sa mère». Cette protection est renforcée par la Convention Internationale des Droits de l’Enfant, (CIDE) ratifiée par Haïti en décembre 1994, dans l’une de ces 54 articles. L’article 19 alinéa 1 de ladite convention précise que : «Les Etats parties prennent toutes les mesures législatives, administratives, sociales et éducatives appropriées pour protéger l’enfant contre toute forme de violence, d’atteinte ou de brutalités physiques ou mentales».
Malgré tout cet arsenal juridique, l’éducation chrétienne, en tout cas en Haïti, continue de considérer les châtiments corporels comme une partie essentielle de l’éducation. Pourtant, le message de Jésus a, au contraire, insisté sur l’innocence de l’enfant qu’il présente comme un modèle à suivre. De toute évidence, une partie essentielle du message du Christ n’a jamais été pratiquée et est peut-être même incomprise par l’Église et la plupart des Chrétiens
à en croire les dires de Madame Fedorah Pierre Louis.
Dans les livres antérieurs aux Évangiles, la violence à l’égard des enfants est expressément recommandée. Il en est question dans trois livres de la Bible : Les Proverbes, Le Deutéronome, L’Ecclésiaste qui démontrent dans une dimension divine que Dieu lui-même est conçu à l’image d’un père qui parce qu’il l’aime, châtie son enfant.
Cependant dans les trois évangiles synoptiques Jésus déclare : «Si quelqu’un doit scandaliser l’un de ces petits qui croient en moi, il serait préférable pour lui de se voir suspendre autour du cou une de ces meules que tournent les ânes et d’être englouti en pleine mer » (Matthieu 18 verset 6). Autrement dit, le péché de celui qui scandalise un enfant mérite la mort.
Quoi qu’il en soit, initier un enfant à la violence en lui faisant violence, c’est le scandaliser, dit Richard B Noel qui, pense qu’il faut passer à la rééducation des parents, la sensibilisation des leaders religieux sur les conséquences graves du châtiment corporel sur le développement psychosocial et même cognitif de l’enfant.
Une étude scientifique de Murray Strauss de (2007) a prouvé que le châtiment corporel peut être à la base d’une baisse de quotient intellectuel (Q.I), or, les croyants ont besoin plus de personne intelligente dans leur rang. Basant sur cette logique, la World Vision espère aboutir à un cadre légal pouvant non seulement impliquer les différentes religions dans une dynamique de non-violence à l’égard des enfants mais aussi interdir le châtiment corporel sur tout le territoire nationale.