Le « peuple » est-il de retour ? Cette foule immense de citoyens issus pour la plupart d’organisation de la société civile et surtout du secteur religieux ayant marché pour dire NON, ce dimanche dans la capitale haïtienne suffit pour l’admettre ? Peut-être pas encore. Mais quoi que non-suffisant, ce déclic était nécessaire. L’indignation exprimée est un bon signe. Le signe que la peur ne doit pas être une option. Le signe que l’on ne peut pas s’accommoder à l’ignominie, à l’infâme et à l’impensable. On ne doit pas s’adapter à l’anormal. C’est aussi un signe que le pays ne meurt pas. Le signe qu’une réserve saine est encore en gestation et peut surgir pour le droit, l’avancement et l’avenir.

Des cas d’assassinats en série, les uns plus barbares que les autres, des enlèvements surprenants dignes d’un commando hyper équipé et surentraîné, des séquestrations contre des rançons faramineuses, l’évasion spectaculaire de plus de 400 détenus à la prison civile de la Croix-des-Bouquets dont des chefs de gangs extrêmement dangereux, la remontée fulgurante de l’insécurité dans le pays, l’ingérence de la communauté internationale dans les affaires internes d’Haïti… Voilà ce qui a mis à bout la grande majorité des citoyens, souvent passive vis-à-vis des affaires politiques de la cité.

Un réveil citoyen est en gestation ? En effet, hier, dimanche 28 février, des centaines de milliers d’Haïtiens, issus des différentes classes sociales, de différentes religions, ont foulé le macadam. Ils sont des ouvriers, des musiciens, des patrons d’entreprises, des écrivains, des étudiants, des religieux, des vodouisants, des dirigeants politiques, des personnes à mobilité réduite, des citoyens lambda, et même des adolescents, marchant à travers les rues de Port-au-Prince pour exprimer leur ras-le-bol, leur envie de vivre, de jouir de leurs droits, en particulier celui de circuler en toute sécurité.

Et comme pour donner une réplique aux dires de la Représentante du Secrétaire Générale de l’Organisation des Nations-Unies (ONU) en Haïti, Helen Lalime, qui dirige aussi le Bureau Intégré des Nations-Unies pour Haïti (BINUH), ils ont été des centaines de milliers dans les rues pour dire NON ! À l’insécurité et à toute velléité dictatoriale de Jovenel Moise, qui est accusé de raviver au sein de la conscience collective les sombres et funestes souvenirs de ce que le peuple haïtien a vécu 35 ans plutôt sous l’ère des Duvalier.

« Peuplement parlant, » les Haïtiens ont juré de se réapproprier leur souveraineté face à une communauté internationale, donneuse de leçon durant les crises haïtiennes. Cette démonstration de force, de solidarité et d’engagement citoyen nous rappelle l’importance d’avoir une société civile forte dans la construction de toute démocratie digne de ce nom.

Cette vision quelque peu idéalisée et surtout négligée ici en Haïti de la société civile, correspond pourtant à l’un des piliers de tout système démocratique. Or, dans les crises socio-politiques et les égarements, la société civile reste et demeure une structure salvatrice capable de décider du destin et de l’orientation à donner à la nation.

Jovenel Moïse, il y a tout juste 5 mois, voulant ironiser certaines figures de l’intelligentsia haïtienne qui interprétaient la crise politique en fonction de leur domaine respective, s’est moqué des points de vue techniquement appuyés par des adverbes. « Peuplement parlant, » mon mandat se termine le 7 février 2022 », avait-il déclaré. Une mauvaise blague !

Une astuce sortie tout droit du système langagier populiste pour souligner sa légitimité ainsi que son « écrasante » popularité issue des présidentielles de 2016 dans lesquelles il a été élu avec 590 927 voix, soit 55,60 % du scrutin, selon les résultats du CEP présidé par Léopold Bélanger. Mais faisant le clown, il n’avait pas mesuré les dimensions des déferlements populaires que peuvent prendre de soudains mouvements de revendications.

Suite à la marche pacifique du 28 février 2021, il est clair que « peuplement parlant » la rue détient le pouvoir politique nécessaire pour contraindre toute autorité politique à respecter la volonté du peuple. Puisque la volonté, c’est aussi ce qu’on ne veut pas…

Si autrefois, les patriciens haïtiens croyaient qu’ils étaient capables de décider de tout et en tout temps sans une moindre considération des éventuelles ripostes de la société civile, à l’heure actuelle, les données ont changé. Ils doivent se rappeler du caractère dynamique de toute société !

Contre la passivité – l’un des symptômes les plus récurrents chez la majorité silencieuse –, le remède de citoyenneté vient d’être prescrit par la rue, il revient aux dirigeants politiques du pays d’en tirer la guérison.

La Rédaction.