Consommer de la viande à Port-au-Prince, un choix risqué
Un essaim de mouches bourdonnent forçant acheteurs et vendeurs à se munir d’un quelconque objet comme éventail. Une odeur nauséabonde empeste l’air. Des morceaux de viande perdent progressivement leur couleur première. Ils sont étalés à même le sol sur des morceaux de carton. Il faut avoir un cœur qui sait résister à la répugnance pour emprunter un abattoir à Port-au-Prince ou encore pour se présenter devant un boucher dans les marchés publics de la région métropolitaine. Les viandes qui y sont vendues échappent totalement au contrôle des autorités concernées. Entre absences d’infrastructures appropriées et l’insalubrité qui règne en maître dans ses endroits, les viandes que nous consommons subissent d’abominables misères avant d’atterrir dans nos assiettes.
Des bouts d’os, des miettes de chair et des viscères s’entremêlent à portée de vue. Quelques vers rampent sur le sol boueux qu’un mélange d’urine d’animaux, d’eaux stagnantes et de sang rend impraticable. Bienvenue dans l’un des abattoirs les plus fréquentés de la région métropolitaine: « Kay Estinval ». Il est situé à Mariani, entrée sud de la Capitale à quelque 41 kilomètres de Port-au-Prince.
Dans cet espace où des milliers de citoyens s’approvisionnent en viandes, aucune condition sanitaire n’est réunie. Les contrôles sanitaires et hygiéniques des bestiaux avant d’entrer dans l’abattoir sont quasi inexistants. Inauguré il y a environ 10 ans, ce marché de bestiaux situé sur la route nationale numéro 2 se trouve dans un piteux état. Le constat répugne.
Le décor est le même dans ce qu’on peine à appeler boucherie à Port-au-Prince. De la Saline à la Croix des bouquets, en passant par le marché La Coupe à Pétion-Ville, c’est dans un environnement insalubre et inadapté que des dizaines de marchands préparent des viandes pour la consommation de milliers de personnes avec une légèreté excessive.
Pour atteindre l’espace réservé à la vente de viande, il faut jouer à la marelle pour se frayer un chemin entre des produits mal arrangés et des lots d’immondices dispersés çà et là. Une dizaine de bouchers, des hommes en majorité, étalent leurs marchandises recouvertes par une nuée de mouches. Les bestioles voyagent d’une table à une autre.
« Aucun comité de vérification n’a jamais visité la boucherie, nous sommes totalement abandonnés à notre sort », se désole Orlwitch JEAN qui exerce le métier de boucher depuis 25 ans. Il indique qu’il n’y a pas d’électricité, voire une chambre froide pour congeler et conserver des viandes. Ce qui, dit-il, met en péril la qualité et la présentation des marchandises.
« Les clients se plaignent souvent à cause du manque d’hygiène. nous sommes obligés d’acheter des morceaux de glaces afin de ne pas perdre totalement la marchandise, qui est notre petit investissement duquel dépend toute une famille », lâche le boucher l’air résigné.
Que disent les médecins ?
Pourtant aussi infects que puissent être les abattoirs, ce n’est pas là que réside tout le danger de la consommation de viande à Port-au-Prince. Selon le docteur Odilet LESPERENCE, le problème se pose avant même d’arriver dans les abattoirs. Il s’agit d’abord du type ou de la qualité de nourriture que les animaux consomment.
La viande d’un animal qui se nourrit de métaux toxiques, de plastiques peut avoir des conséquences énormes sur la santé des consommateurs. « Les animaux devraient être identifiés, contrôlés et inspectés régulièrement par un comité de contrôle et d’identification qui, hélas, n’existe plus de nos jours », regrette le médecin.
Sans un contrôle rigoureux, les risques de contamination sont très élevés à cause de la présence d’insectes porteurs de bactéries et d’autres facteurs existants dans les abattoirs et boucherie du pays. Les conditions dans lesquelles les viandes destinées à la consommation sont traitées laissent à désirer. Odilet LESPERENCE ajoute que les risques sont encore plus grands quand les viandes contaminées sont déposées dans les réfrigérateurs aux côtés des autres aliments qui seront souillés (avérées) à leur tour.
Une viande doit être conservée de zéro à deux degrés selon la DGCCRF (Direction de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes) de Fance.
Plus elle s’expose à l’air libre plus elle se détériore et change de couleur. Sa valeur nutritive diminue aussi. Dès fois, les consommateurs pensent manger de la viande, mais consomment en réalité un tissu de microbes. Selon Dr Lespérance, il est impératif que les viandes achetées aux marchés soient bien cuites afin d’être débarrassées de certains microbes. Voire que certaines bactéries contenues dans les viandes ne sont éliminées qu’après la calcination de celles-ci, et à ce stade la consommation est impossible.
Par ce temps de Coronavirus, il est clair que l’hygiène des animaux et les conditions dans lesquelles les viandes sont traitées doivent être une obligation de premier choix pour les autorités concernées.
Le trucage des viandes : une pratique bien réelle
Des chevaux attachés à des poteaux non loin de la berge de la rivière TISOUS à proximité de l’abattoir KAY ENSTIVAL.
D’autres sont fixés à un tronc d’arbre enfoncé au sol. Des poils sont dispersés par-ci par-là. Les exhalaisons qui s’en échappent sont répugnantes. »Ici on abat les chevaux comme on le fait pour les chèvres, les bœufs, etc. », avoue une dame ayant requis l’anonymat.
Une fois ces animaux tués, et leurs viandes disséqués, la destination est le marché de la (Croix-des-Bossalles).
« Souvent on mélange les viandes, celles de bœufs de chevaux et parfois celles de (moutons) et de chèvres », confie une marchande la tête recouverte d’un grand chapeau de paille.
Joane Pierre rencontrée au marché de Mariani est une consommatrice de viande avérée. Mère de famille de 29 ans qui élève seule deux enfants, elle avoue être au courant des trucages qui se font dans certains abattoirs et boucheries.
« Je n’ai pas le choix. Des fois je n’ai pas assez d’argents pour me rendre dans les super marchés de la place. D’ailleurs, rien ne me dit que chez eux, ce n’est pas pareil », relativise Joane.
Toutefois, elle est bien consciente de la situation sanitaire qui règne dans les abattoirs et boucheries de la place. « Mais vue l’importance de la viande comme élément nutritif pour le corps, je suis obligé d’en consommer de temps en temps », admet la jeune dame.
Joane Pierre sait qu’elle met en péril sa santé sur le long terme. « Oui, notre santé ne veut rien dire pour les autorités sanitaires. Je rêve de voir un jour que les boucheries et abattoirs de mon pays soient sous le contrôle des autorités compétentes », conclut-elle avant de glisser dans son sac plusieurs morceaux de côtelettes de porc qu’elle vient d’acheter.
Si l’être humain est réellement ce qu’il mange, il est important de s’interroger qui est un Haïtien sur le plan nutritif ?
Alexis GERMILUS