Jacques Roche, je t’écris cette lettre
Ici le prologue ainsi que la quatrième de couverture du recueil de poésie de Rodney Saint-Éloi titré « Jacques Roche je t’écris cette lettre ». Un livre de poésie paru le 28 février 2013 sous la direction des éditions »Mémoire d’encrier » dans lequel les deux amis »Jacques Roche et Rodney Saint-Éloi » dialoguent dans une longue lettre de deuil en forme de poème.
Prologue
Jacques Roche, mon ami, est assassiné à Port-au-Prince le 14 juillet 2005. Il m’a adressé sa dernière lettre, quelques jours avant que les bourreaux n’aient étouffé sa voix. Il m’a écrit : « Je viens vers toi et t’offre mon songe ».
J’existe depuis dans le souvenir de la parole donnée.
Qui me dira comment nommer la mort quand le tombeau est celui d’un ami. On apprend l’oubli et le deuil. On pleure en silence alors que remonte le fleuve de l’amitié, embrassant le visage lunaire de l’absent. Le pays perdu défile telle la silhouette diaphane de l’ange de nos rêves d’enfant. La certitude c’est que les nuages ne seront plus les mêmes. Ni le ciel bleu. Ni les mers. Ni les montagnes.
Jacques, j’ai parfois le sentiment étrange que tu n’as jamais existé. Pourquoi as-tu mis tant de bonté et de chansons dans ce mot qui s’appelle vivre ? Frémissent les moindres gestes où s’éveille ta fièvre de jeune homme insoumis. Suffit-il que tu ouvres les bras pour que se répande la lumière.
Jacques, je t’écris de Montréal, avec au cœur, les bris de l’île, l’encre séché du poème, les cris de colère. J’accueille au bout du petit matin d’hiver tes mots. Bats en moi ton souffle, ta révolte et ton combat pour que les rêves ne soient pas piétinés.
Où es tu Jacques dans le songe que nous avons ensemble songé.
Qu’ont-ils fait de ton rire ?
Que peut le poème pour garder en nous la lumière ?
Je t’écris cette lettre et repense à tes phrases verticales. Tu demeures dans ma nuit une étoile incendiée. Les assassins n’ont pas le pouvoir de nommer nos songes. Mille drapeaux flottent dans nos cœurs comme des tisons d’espoir. Le feu est dans chacun de tes mots, Jacques. Que tes pieds, tes mains, tes yeux et tous tes membres soient entiers à ton corps !
Cher Jacques, mon frère, ne meurs pas, car si tu meurs, le vent meurt avec ton hombre, ou meurs si ton songe est le sang qui grandit l’horizon.
Chacun d’entre nous devrait écrire une lettre à un ami. Écrire ces mots qui rappellent notre présence. Lui dire que la ville est debout, que les bouleaux résistent aux saisons, que les goélands cachent loin des îles leurs cris de liberté. Chacun d’entre nous devrait écrire à quelqu’un pour lui dire que, même assassinés, les amis sont chers. Leur rire nous rend vivants. Honneur à Jacques Roche pour qui j’écris ma plus longue lettre: que c’est triste de mourir, sans ses yeux. Ton visage demeure dans mon souvenir comme un soleil.
Ce livre-hommage est un rappel à la mémoire. Kidnappé le 10 juillet 2005 à Port-au-Prince, le corps de Jacques Roche a été retrouvé le 14 juillet 2005. C’est cet acte barbare qui nourrit le poème.
Apprendras-tu l’exil
À tes pieds exilés
Là-haut
Tes pieds poudrés
Toucheront le sol
Seulement pour nous rappeler que
Toute terre est fruit d’espérance
Né en Haïti, Rodney Saint-Éloi vit à Montréal depuis 2001. Écrivain, éditeur, passeur de mots et de mémoires, Prix Charles-Biddle 2012, il est l’auteur d’essais, de récits, d’anthologies et de recueils de poèmes.
28 février 2013 (Québec)
Rodney Saint-Éloi
Lire les notes biographiques de Rodney Saint-Éloi
En vente ici.
Disponible en version papier et numérique