Les marchands de nourriture ambulants, appelés « Brouette » ou « Chen janbe », constituent une nouvelle activité économique en plein essor dans la capitale haïtienne. Destiné à un public de petites bourses, le plat varie entre 75 à 125 gourdes.

Pour faire face au chômage, éviter le prix jugé exorbitant d’un plat des marchands appelés « Anba dra », les brouettes s’imposent peu à peu dans les quartiers populeux, les marchés et les coins de rue achalandés.

Il est 7h15 a.m. ce lundi 11 juillet 2022. On peut à peine observer les rayons lumineux jaunâtres du soleil sortant de l’horizon. Les rues ne sont pas encore encombrées. Peu de piétons circulent pour se rendre à leurs activités respectives. Dans la station de taxi moto de Girardo, un des nombreux bidonvilles de la commune de Pétion-Ville, une « brouette » se pointe. Au milieu d’un carrefour, sous un amandier qui attire des attroupements, le marchand s’arrête. C’est une habitude. Un homme de teint noir, dans la quarantaine, cheveux poivre et sel.  Le visage en sueur, les yeux fatigués et les bras épuisés, il se tient fermement derrière sa brouette. À l’intérieur, une grosse chaudière de riz au pois et un saut contenant de la sauce. Deux paquets d’assiettes et de cuillères en plastique sont accrochés sur le côté gauche de son chariot. Un petit sac accosté à la manche de la brouette sert de poubelle.

« Donnez moi pour 75 gourdes », lance un premier client. « Moi, pour 100 gourdes, dépêche-toi, j’ai grand faim, on t’attendait impatiemment…» sort un autre. Les demandes viennent de part et d’autre. On dirait une chorale que forment les chauffeurs de taxi moto. Un tohu-bohu. Le marchand gère. C’est la routine quotidienne.

Les brouettes sont un peu partout

À cause de la cherté de la vie qui impacte grandement le prix des « Anba dra ». Ces marchands ambulants de plats chauds volent au secours des désargentés. Ordinairement, le menu est simple: riz aux haricots avec ou sans sauce, légumes, riz jardinier ou riz blanc et purée de pois. Le prix d’un plat « brouette » varie entre 75 et 125 gourdes.

Les « brouettes » se font remarquer un peu partout dans les rues de Port-au-Prince: les places publiques à Delmas ou les zones de forte concentration à Pétion-Ville. Mais l’ancien cimetière de Pétion-Ville, transformé en station de transport en commun, semble être leur véritable bastion. « Tous les endroits réunissant beaucoup de personnes peuvent être un marché ou un public profitable à ces vendeurs», affirme Luckson Saintil, jeune homme de 35 ans, assis devant sa brouette.

Rencontré dans une rue à Pétion-Ville entrain de vendre un client, ce marchand ayant requis l’anonymat nous raconte comment fonctionne ce commerce qui s’impose au fur et à mesure.  « Les « brouettes » fonctionnent de deux façons. Certains investissent leur argent, préparent et vendent leur nourriture. D’autres travaillent pour le compte d’une autre personne qui prépare tout et fournit le matériel nécessaire pour la vente, moyennant un contrat le plus souvent verbal.

Faire face au chômage et à l’inflation

Cité plus haut, Luckson Saintil, charpentier et ferrailleur de profession, a passé des années sans effectuer une seule journée de travail. Pour répondre à ses responsabilités, la « brouette » était l’une de ses opportunités. « J’ai un métier. J’aime travailler. Je veux et je peux travailler mais malheureusement, je n’ai rien trouvé depuis quelque temps sur ma profession. Après plusieurs réflexions, devenir marchand de nourriture ainsi était l’unique option  qui me restait », déplore-t-il.

Rénel Brévil, âgé de 27 ans, a surmonté une maladie chronique qui lui a coûté son emploi. Après cette impasse difficile, Brévil n’avait pas d’autre choix: créer sa propre source de revenu. Après avoir essayé plusieurs activités, Rénel  a dû se tourner vers la vente de nourriture.

« On m’a volé trois motocyclettes. Alors J’ai décidé de changer d’activité », raconte d’un air abattu cet ancien chauffeur de taxi moto devenu marchand de nourriture, sous couvert de l’anonymat.

Pour des chauffeurs de taxi moto interrogés à Pétion-Ville, les brouettes representent une planche de salut. Leur espoir. Une alternative pour contourner les plats des « Anba dra », qui se vendent désormais jusqu’à 400 gourdes. Mackenson Jean, chauffeur de taxi moto à Girardo, confirme sans langue de bois : «

 Avec les brouettes, je n’achète plus de plats chers. Je prends deux brouettes s’il le faut », lâche-t-il d’un ton ironique.

Une clientèle unique et variée

« Tout le monde, de presque toutes les couches,  achète des plats brouettes.» C’est en tout cas ce que font croire les marchands interrogés à ce sujet. Cependant, ces plats chauds sont pratiquement dédiés aux  plus démunis. Des ouvriers, des chauffeurs de taxi, des marchands, des petits commerçants ou tous ceux qui ne peuvent s’offrir un plat dans un restaurant ou un « Anba dra ».

À cela, Rénel met un bémol : « la clientèle peut varier en fonction du comportement du marchand: Ses vêtements, ses chaussures, l’état de ses ustensiles, la propreté…sont des facteurs qui peuvent attirer ou repousser un certain type de clients.»

Entre-temps, le prix des produits alimentaires ne cesse de grimper sur le marché.

Produits AlimentairePrix en gourdes
1 Marmite de pois noir 750
1 Marmite du riz500
1 Marmite de pois beurre1400
1 Marmite de pois rouge1000
1 Marmite de maïs moulu 500
1 Marmite de blé500
1 Marmite de Petit mil600
1 Marmite de farine 400
1 Marmite de sucre brun 500
1 Gallon d’huile 1500

Si les « brouettes » facilitent les plus démunis d’un plat journalier, cependant plus d’un expriment des réserves quant à l’apport nutritif que peut fournir aux consommateurs un « plat brouette ». Et encore, les conditions d’hygiène dans lesquelles ils sont préparés laissent pour le moins à désirer. Quoiqu’il en soit, face à une menace de grande famine qui se fait de plus en plus pesante en Haïti (aujourd’hui, selon le PAM, plus de 4,5 millions d’Haïtiens ont faim),  les »chen janbe » se révèlent un dernier recours pour les chômeurs au nombre incalculable.

Mackenlove Hyacinthe