Lors du Tremblement de terre du 12 janvier 2010, le secteur construction a été l’un des plus touchés. Environ 250 mille logements ont été détruits et 6 mille 500 maisons endommagées. 13 ans après la catastrophe, est-ce que les haïtiens construisent mieux ? Les normes modernes de constructions sont-elles appliquées ? Quelle leçon les professionnels de constructions ont-ils tiré du séisme? Entres autres questions qui restent toujours pendantes plus d’une dizaine d’années après le passage du cataclysme.

Le 12 janvier 2010, à 16h 53, un séisme de magnitude 7.3 ébranle la capitale d’Haïti, Port-au-Prince, la secousse qui a duré un peu plus de 35 secondes a réduit la ville en un amas de ruines. Des quartiers et de grands bâtiments publics dont le Palais National sont rasés. Jusqu’à date, le bilan est difficile à établir avec précision compte tenu de l’ampleur des dégâts. 13 ans après, le pays peine à se relever et nous sommes loin du compte. Les dirigeants d’alors ont raté cette opportunité de pose les jalons pour une nouvelle Haïti. Malgré que l’occasion était là, à porter de main pour reconstruire ce pays, mais nous l’avons carrément raté. C’est ce qui nous pousse à aller sur le terrain pour comprendre la réalité plus de 10 ans après.

Sur un chantier, 9 ouvriers, un contremaitre et un ingénieur sont au travail. Ils connaissent tous les techniques de construction. Dès la composition du mortier, ces méthodes sont appliquées. Jean-Louis Moise frise la trentaine, il est contremaitre. Un crayon dans la bouche et un décamètre accroché à sa ceinture, le technicien en maçon avoue qu’avant, il s’intéressait peu aux principes de construction. Le passage du séisme de 2010 a tout changé. Des organisations œuvrant dans le domaine l’ont sensibilisé et formé. Aujourd’hui Jean-Louis Moise construit autrement : « Avant le passage séisme on ne se soucie pas vraiment des normes en matière de construction mais maintenant c’est devenu plus qu’une obligation. On doit être vigilant et s’assurer de chaque détail tout en respectant les normes internationales de construction au moins à 80, 90% pourquoi pas 100%»

En plus de ce dernier, c’est le cas pour les autres techniciens du chantier, qui font énormément d’efforts pour mettre toute en œuvre les exigences en matière de construction. Ici un charpentier, dans la cinquantaine, s’active à terminer son coffrage. Il a, lui aussi, suivi des séminaires en construction. Il affirme que bon nombre de choses ont changé depuis le passage du tremblement de terre. Il y a de l’évolution dans la manière et la façon de construire une maison ce qui exige au constructeur de s’adapter à la réalité de l’heure.

Les travaux se réalisent sous l’œil attentif de l’ingénieur Philémon Pierre Franck. Pour lui toute construction a 3 aspects : la résistance, le coût et l’esthétique. « Mais trop souvent les propriétaires sont guidés par le second », regrette le professionnel.

De ce fait, M. Pierre Franck pense qu’il appartient à l’Etat haïtien de faire respecter les normes en matière de constructions. « Les techniques existent mais ne sont pratiquées que par une minorité », constate l’ingénieur. Il conseille à la population de mieux choisir les constructeur de leurs maisons.

L’envers du décor

On le prénomme Gabriel, il est ingénieur civil et mastérant en infrastructures et géotechnique et spécialiste en ouvrages d’art. Ce dernier dit regretter que 13 ans après le tremblement de terre rien n’a changé. Il déplore le fait que les autorités n’aient tiré aucune leçon du tremblement de terre du 12 janvier 2010. Ajouter à cela, le pays a raté une occasion en or de redorer son blason en matière de construction. Il reste convaincu que si un tremblement de terre se produit sur une même échelle, il causerait autant de dégâts voir beaucoup plus que celui de 2010. Car soutient-il, les citoyens se contentent d’avoir une belle maison et non une bonne maison. Et les autorités municipales n’ont aucun contrôle sur les constructions, alors que c’est une partie de leur mission.

« C’est au moment du bétonnage d’une maison au moins un agent de la mairie peut venir questionner le propriétaire de la maison et ceci les questionnements se limitent sur le permis de construction et après le propriétaire donne un peu d’argent et tout est réglé. Mais aucune inspection sur le terrain, sur le plan de la maison etc…», dénonce-t-il.

Par ailleurs, il croit que la situation économique de la population est un des facteurs de risque dans leur manière de construire. Selon lui, « une construction qui respecte les normes coûte cher, mais la majorité de la population vit dans la misère donc ils n’ont pas les moyens pour faire appel à des spécialistes. Ils s’amusent à acheter n’importe quel type de terrain sans faire des études ou de consultation puis appeler un proche ayant une certaine connaissance en la matière et quelques jours ils construisent leur maison ». L’ingénieur croit qu’à part quelques bâtiments publics qui répondent plus ou moins aux normes modernes de construction, la majorité des maisons sont que de belles maisons qui ne pas capables de résister à un séisme de magnitude 3 ou 4.

Quelle est l’utilité des campagnes d’évaluation du MTPTC après le séisme?

L’ingénieur Gabriel faisait partie de l’équipe d’évaluation du Ministère des Travaux Publics, Transport et Communication (MTPTC) après le passage du cataclysme. Il se souvient qu’il y avait des maisons qui ont été marquées rouge ce qui signifie qu’elles devraient être démolies mais à son grand étonnement 13 ans plus tard, certaines de ces maisons sont toujours debout et les autorités étatiques restent les bras croisés constatant le danger. De même pour les maisons marquées jaune, ce qui voulait dire qu’elles devraient être réparées à un certain niveau mais ces maisons sont aujourd’hui habitées, ce qui rend la tâche d’autant plus compliqué.

Le spécialiste croit que la population n’est pas assez éduquée sur ce que représente un séisme, or le pays est traversé par des failles sismiques qui sont toujours en activité. Rare sont les personnes qui ont des connaissances sur les catastrophes naturelles. Il déplore du fait que seul le Bureau des Mines et de l’Energie (BME) assure des campagnes de sensibilisation sur les risques écologies et géologiques, mais les autres instances concernées ne sont pas vraiment impliquées. Il accuse l’Etat haïtien d’être le principal responsable de l’ampleur des dégâts causée par le séisme du 14 août 2021 dans le Sud du pays. Il plaide en faveur d’un Etat avant-gardiste en lieu et place de cet Etat pompier.

En guise de propositions, l’ingénieur civil conseille aux autorités de mieux superviser le secteur de construction et surtout d’éduquer la population sur les catastrophes naturelles, les séismes en particulier. En ce qui a trait à la population, il leur recommande de se pencher sur la qualité d’une maison au lieu de la quantité. Le spécialiste croit qu’il serait mieux de posséder une pièce et celle-ci répond aux normes de construction au lieu d’en avoir 10 qui sont construites n’importe comment.

Mederson ALCINDOR