« Le vodou est une religion de résistance » selon Laënnec Hurbon
Dans une entrevue accordée à Jacques André, psychanalyste, philosophe, Laënnec Hurbon, docteur en théologie et en sociologie, a expliqué pourquoi il considère que le « vodou » est une religion de résistance.
Laënnec Hurbon, docteur en sociologie et en théologie, a la belle habitude de rapprocher les termes « vodou et résistance ». Ce qui, a-t-il avoué, lui vaut des reproches. Dans une entrevue accordée à Jacques André, psychanalyste, philosophe, directeur du Centre d’Études en Psychopathologie et Psychanalyse (Paris VII), le sociologue a défendu sa position.
« Il s’est trouvé dès le départ, dans l’histoire d’Haiti, que le vodou a été acculé à être en position de résistance. L’interdit porté contre le vodou pendant la période esclavagiste a poussé les esclaves à ne pouvoir trouver que dans le vodou des occasions de rassemblement, donc des lieux où ils pouvaient organiser la révolte dans l’espace du secret, prévenant ainsi les risques des délations », a expliqué le directeur de recherche au CNRS.
Pour le professeur, les cérémonies du vodou est aussi une manière pour les africains de Saint-Domingue de créer un faisceau social propre à eux.
« Ce qui s’est passé en Haiti en 1791 n’était insolite que pour les occidentaux qui ont, eux-mêmes, essayé de minimiser le rôle du vodou dans leurs récits sur cette période, mais les colons ont senti très vite que les réunions ‒ « calendas » ou danses ‒ que faisaient les esclaves prouvaient leur désir de créer une ligne de démarcation entre eux et les colons », a-t-il avancé.
Le théologien a poursuivi son argumentation, affirmant que « le vodou dès le départ signifiait l’échappé hors du système, mais c’est le pouvoir lui-même qui va lui conférer le caractère de résistance ». D’après lui, ce caractère de résistance est conféré au vodou pendant et après l’esclavage. Comment ? Il explique :
« Le colon esclavagiste dispose déjà d’un modèle pour comprendre les pratiques religieuses des esclaves : ce modèle, c’était la sorcellerie. Tout nègre passait pour un sorcier. On comprend dès lors que dans toute rencontre rituelle des esclaves, les colons voyaient, non pas une tentative pour échapper au pouvoir mais un moyen pour organiser la subversion par le biais des pratiques de sorcellerie », a-t-il précisé avant d’ajouter : « Il y a eu plutôt une annexion de certains éléments, croyances et rites, au service du vodou ; j’ai appelé cela un rapt de signifiants. Signifiants qui viennent renflouer le vodou ou simplement s’ajouter à sa force. D’un côté, l’église catholique donne à Haiti la face qui lui est nécessaire pour se présenter dans les concerts des nations modernes. De l’autre côté, cette même église permet de conserver les pratiques du vodou en sous-main ».
En d’autres termes, face à la répression de l’église catholique, le vodouisant fait profil bas et fait semblant de se dédier aux exigences chrétiennes. Sauf que lorsque le vodouisant se prosterne devant l’image d’un saint catholique, il n’adore pas le saint, mais un esprit du vodou (loa) dont la représentation est attribuée à l’image du saint. C’est le syncrétisme religieux.
Aujourd’hui encore, le vodou est présent dans les mouvements populaires, comme un symbolique tributaire de la cérémonie du Bois-Caïman. Il est rare qu’une manifestation aujourd’hui, ne débute pas par l’exécution d’un raccourci de cérémonie du vodou.
Cf. : Hurbon, Laennec. Comprendre Haïtien : Essai sur l’État, la nation, la culture. Éditions Karthala et Deschamps, 1987, p. 158-169
Michner Alfred