1 002 cas d’enlèvements sont répertoriés par le Centre d’Analyse et de Recherche en Droits de l’Homme (CARDH) de janvier à décembre 2021 en Haïti. Parmi les proies des ravisseurs figurent 81 ressortissants étrangers de six pays. De fortes sommes d’argent sont exigées par les kidnappeurs pour la libération des otages, qui risquent la mort si leurs proches n’arrivent pas à payer les rançons exigées.

Rosemonde* et son mari ne font plus l’amour alors qu’ils sont mariés et vivent sous le même toit depuis 7 ans. Le lit conjugal n’intéresse plus le couple suite à un viol collectif perpétré contre la dame après un enlèvement dans la capitale. Des bandits, armés jusqu’aux dents, ont enlevé le couple à Canapé-vert pour ensuite violer Rosemonde en présence de son mari ligoté, durant plusieurs jours.

« On dirait un commando, des armes automatiques de gros calibre ont été pointés sur nous alors que nous étions en pleine rue », raconte Rosemonde*. Impuissants, les mariés ont été forcés de monter à bord du véhicule des ravisseurs pour se rendre à Martissant, considéré comme la vallée de la mort depuis un certain temps. « Ils nous ont enlevés pour ensuite nous séquestrer durant 8 jours dans un hangar crasseux. Ils nous ont obligés à appeler nos proches pour leur exiger de payer une rançon de 30 milles dollar américain », poursuit Rosemonde, une once de tristesse dans la voix.

« Nous leur avons dit que nous ne possédons pas cette faramineuse somme, ils n’ont rien voulu écouter, ils étaient agressifs et violents ». « Quand nous tentons, tout peureux, de les convaincre, nos arguments ont été reçus à coup de matraque et de gifles », se remémore la mariée qui a énormément souffert.
Le cas de Rosemonde* n’est pas isolé. Plusieurs victimes, ‘’hommes et femmes’’, rencontrés dans la capitale partagent des péripéties similaires.

Violette*, vingt ans, étudiante en sciences infirmières, a connu le même sort. Elle a été enlevée en plein jour à quelques encablures du palais présidentiel qui jouxte le quartier général des forces armées d’Haïti. « J’ai vécu l’enfer, mes ravisseurs m’ont fait une misère indicible, lâche la jeune femme, entre deux soupirs ». « Ils ont été plusieurs à me violer à tour de rôle dans presque toutes les parties de mon corps ; j’étais réduite en une esclave sexuelle », confie violette, la voix cassée, l’air déprimé.

Le vécu de Jean Junior*, n’est pas si différent. Le natif de Milot, commune du département du Nord tient une petite boutique à la commune de Croix-des-Bouquets. Il a été enlevé en mai de cette année par des hommes du puissant gang (400 Cent marozo), qui l’ont séquestré pendant plus de 22 jours. « Ils m’ont d’abord tabassé parce qu’ils n’ont trouvé ni argent ni objet précieux sur moi pour ensuite m’emmener avec eux dans 4×4, alors que mon sang giclait partout dans  la voiture », raconte Junior. « Mes blessures s’infectaient au fil des jours, car je n’ai reçu aucun soin, certaines plaies puaient », ajoute le Capois l’air songeur. La mère de Junior, cultivatrice a dû vendre ses bétails et des terrains dont elle cultivait pour envoyer 400 milles gourdes aux ravisseurs pour pouvoir relâcher son unique fils.

L’insécurité en Haïti, une tendance

Depuis quelques mois, Haïti est devenue le bastion du kidnapping. À Port-au-Prince et dans les provinces, les enlèvements sont monnaie courante. Plus d’une vingtaine de kidnappings sont recensés chaque jour dans la Capitale considérée comme l’une des plus dangereuses du monde. Personne ne semble être à l’abri. Le simple fait de marcher dans la rue est comme se rendre à la boucherie. Circuler devient un exercice à haut risque. Les gangs sèment la terreur, utilisent les uniformes de la police au cours de leurs rapts, opèrent à visières levées en toute quiétude et sont prêts à tout pour récolter leur butin. Ils torturent, assassinent des otages et violent brutalement des femmes et des filles.

Des survivantes confient qu’elles ont été enlevées, parfois avec leurs enfants en bas âge, alors qu’elles se rendaient à l’hôpital, à l’église, au travail ou revenaient d’un voyage dans le sud du pays.

Violences sexuelles : Les séquelles…

Ces enlèvements ont bouleversé la vie des femmes et des filles, leur infligeant des dommages et un traumatisme de longue durée. Carline, qui a été violée en plein jour, à Martissant, a déclaré qu’elle et d’autres anciens otages avaient beaucoup changé après cette épreuve douloureuse. « Je suis devenue quelqu’un d’introverti. Je n’arrive même pas à dire à mon petit ami ce qui m’est arrivée. Si un jour, on se marie, j’ai peur que cet incident ne soit pas une pierre d’achoppement et ne me suive toute ma vie. »

De nombreuses femmes et filles ont subi des blessures qui leur laissent des lésions physiques durables. Certaines victimes sont allées dans un centre médical ou dans un hôpital peu après leur libération, où elles ont reçu des soins médicaux classiques post-viols – y compris des médicaments destinés à éviter les maladies sexuellement transmissibles et les grossesses non désirées. D’autres recourent à la médecine traditionnelle, les services médicaux étant extrêmement limités en Haïti.

Certaines victimes affirment qu’elles souffrent de dommages vaginaux, de douleurs abdominales ou pelviennes persistantes. « Je porte les stigmates de ce moment horrible en moi, je n’arrive pas à m’y échapper des griffes de ses souvenirs douloureux », révèle Carline l’air contrit. « Jusqu’à présent, je ressens de fortes contorsions au niveau de mon ventre », confie la trentenaire. Parmi les autres symptômes décrits par les survivantes, figurent des vertiges, une pression artérielle élevée ou d’autres douleurs. Les services de soutien psychosocial ou de santé mentale sont luxueux en Haïti. Si certains otages ont reçu un début de soutien psychosocial grâce aux centres médicaux locaux, d’autres ont été dans l’impossibilité de recevoir ce genre de soutien.

Les victimes, rejetées et stigmatisées par leurs proches

De nombreuses victimes de violences sexuelles ont été blâmées après leur libération par leur mari, les membres de leur famille et de leur communauté, pour ce qui leur était arrivé. Châtiment suprême : certaines ont même été abandonnées par leurs partenaires. « J’ai le sentiment que je n’ai plus aucune valeur aux yeux de mon mari », a soupiré Violette, qui a été violée sous les yeux de son mari plusieurs fois après leur enlèvement.

Marianne a été enlevée et violée par ses ravisseurs. Libérée contre rançon, elle a rejoint sa famille. Mais sa péripétie n’allait que continuer, qu’accroître.

« A chaque fois que quelqu’un voulait me blesser chez moi, il me disait toujours : on t’a bien purgée, tu l’as bien souhaité, tout n’était que ta manigance », confie la jeune dame, une désolation perceptible dans sa voix. « Mon petit ami m’a tourné le dos après le drame, il m’a dit catégoriquement qu’il ne voulait et pouvait plus continuer avec une femme qui n’en reste rien comme prestige, qui ne fera que diminuer son honneur », lâche-t-elle dans un sanglot.

Kidnapping : tolérance ou complicité

Le 25 novembre 2021, le directeur de la communication de l’Université Quisqueya, Dr Alain Sauval et le photojournaliste Jhony François Spenser ont été enlevés dans les environs d’un quartier du Canapé-Vert et emmenés à Grand-ravine, un quartier populeux de Port-au-Prince.

Ils ont passé 15 jours à l’ancien espace du Séminaire de Théologie Évangélique de Port-au-Prince (STEP) dans des hangars construits par des missionnaires qui ont fui l’insécurité. L’espace est aujourd’hui utilisé comme lieu de séquestration par les kidnappeurs.
« Là-bas, explique Spenser, il y a un gardien qui garde les otages et des soldats qui obéissent aux ordres du chef. Il y a aussi des femmes. Des femmes entre 18 et 25 ans qui font le nettoyage, la cuisine, la lessive et d’autres pour satisfaire les désirs sexuels des soldats, quand ce ne sont pas les femmes enlevées. »

« Il y a aussi des enfants de 4 à 5 ans qui grandissent dans cet endroit et des familles qui habitent les environs, poursuit Spenser.

Ces personnes voient chaque otage qui arrive et qui ressort. Elles n’ignorent pas qu’il s’agit du kidnapping. Ils auraient pu appeler la police, mais ne l’ont pas fait. » Regrette le photojournaliste.

 

Une source d’appauvrissement…

Presque toutes les personnes enlevées n’ont été relâchées que lorsque des membres de leurs familles ont versé une rançon de plusieurs centaines de milliers de dollars US. Ces paiements ont souvent causé de graves difficultés financières à ces familles qui ont parfois été contraintes de vendre leurs maisons, leurs voitures, leurs terrains, des biens, tout ce qu’elles possédaient, les laissant dépourvues de sources de revenu.

Bien souvent, les ravisseurs exigent des sommes que les familles des otages ne trouveront jamais même s’ils passeraient toute leur vie à travailler. Certains ont même quitté le pays après leur libération pour aller travailler dans de mauvaises conditions à l’étranger.
Haïti est le pays le plus pauvre de la région et parmi ceux des plus pauvres au monde. En 2020, le PIB par habitant était de 2. 925 USD, le plus bas de la région d’Amérique latine et des Caraïbes et moins d’un cinquième de la moyenne des pays de la région qui est de 15. 092 USD. Le kidnapping enfonce les familles des victimes dans la misère.

Une police impuissante

De nombreux anciens otages déclarent que les membres de leur famille ne font pas confiance à la police, car beaucoup de policiers sont impliqués dans le kidnapping.

« Les policiers ne font rien au sujet des enlèvements puisqu’ils sont eux-mêmes impliqués. Même si vous les alerter, les informer de ce qui se passe, ils restent passifs. Vous pouvez dire à la police qu’on est en train de violer, tuer quelqu’un à proximité – elle ne lèvera pas le petit doigt. », déplore Spenser

D’autres victimes ont indiqué que les membres de leur famille craignaient les représailles des ravisseurs s’ils sollicitaient l’aide de la police. «  Même si vous les rencontrez par hasard et que vous les dénoncez à la police, ils seront peut-être arrêtés et envoyés en prison, mais ils n’y resteront pas plus de deux semaines. »

La passivité des forces de l’ordre a conduit des hommes des communautés affectées à former des groupes d’auto-défense. Des riverains de plusieurs quartiers de Port-au-Prince ont fait état de plusieurs cas de justice populaire.

La justice populaire pour contrecarrer les enlèvements.

En octobre 2021, des hommes armés de machettes ont tué deux hommes soupçonnés d’être des membres d’une bande criminelle, à Canau, une localité située à Canapé-Vert, dans la 2e circonscription de Port-au-Prince.

Les brigades montées par des habitants de certains quartiers se veulent une réponse aux groupes de gangs qui imposent leur loi impunément. Avec le bout de leurs ongles, ces citoyens se disent déterminés à lutter contre ce phénomène aux mille maux et refusent de courber l’échine face aux kidnappeurs qui n’ont cessé d’endeuiller les familles haïtiennes. Raymond est un orfèvre qui habite Canape-vert depuis plus de vingt ans. Il reprend une citation du père fondateur de la nation, Jean Jacques Dessalines : vivre libre ou mourir pour montrer sa volonté à faire face aux kidnappeurs… « Je refuse de vivre terré chez-moi la peur au ventre parce que des voyous décident de nous rendre la vie dure, je suis prêt à tout. Si nos ancêtres avaient peur de mourir, nous ne serions pas libres aujourd’hui, il faut en finir avec ce fléau  », martèle le père de deux filles qui dit toutefois craindre pour ses progénitures. Georges est du même avis et est motivé à apporter son soutien bien qu’il se montre plus prudent : « Je veux que l’on en finisse définitivement avec le kidnapping, mais je crois que les autorités policières doivent nous accompagner, seuls nous risquons de nous faire décimer par ces « sans pitié », avoue le commerçant déjà victime d’une tentative d’enlèvement.

Ces hommes qui ont monté des embuscades et ont capturé deux hommes accusés d’être impliqués dans les enlèvements, et les ont brûlés vifs » n’entendent pas faire machine arrière. Face au laxisme de la police qui donne cours aux suspicions, ces citoyens s’engagent au péril de leur vie. Évoquant la pensée Durkheimienne, certains parlent de suicide altruiste, faisant allusion à ce qu’ils appellent l’aveuglement de ces derniers.

Entre temps, les bandits font la part belle, contrôlent des quartiers entiers, paradent en plein jour dans les rues de la capitale à la vue et aussi des autorités constituées qui peinent à prendre des mesures drastiques pouvant rétablir la sécurité et ramener la paix et la sérénité chez la population. Ce qui est évident pour l’instant, c’est que ce sont de simples citoyens, des filles, des femmes, des professionnels, des enfants véritables proies des ravisseurs, qui payent le lourd tribut du kidnapping, industrie qui tourne à plein le régime.

 

*Dans le cadre de ce travail, des noms d’emprunt ont été accordés à des personnes interviewées afin de protéger leurs identités. 

 

Aljany Narcius