Le diesel et la gazoline, désormais les liquides les plus précieux de la République, ne se distribuent plus. Certains privilégiés ayant des contacts hauts placés font le plein à 1h, 2h ou 3h du matin, à l’abri des regards affamés de carburants. Entre-temps, les gangs armés qui ont imposé cette pénurie, pour forcer l’équipe en place à passer à la caisse, continuent de tuer, de kidnapper et de terroriser toute une population sans défense et maintenant sans un sous, même pour payer les rançons. Un autre ennemi, moins redouté, mais tout aussi dévastateur, la Covid-19 qui tue dans le silence. Ajouter à cela, une inflation galopante hissant tous les indicateurs au rouge.

Pour ce mois de novembre, la situation s’annonce difficile, ardue et même catastrophique pour les secteurs qui dépendent du diésel et de la gazoline. L’indisponibilité de l’or noir dans les pompes perdure. Le spectacle auquel on assiste dans les pompes à essence est digne de la science-fiction. Une marée humaine, dont certains s’accrochent on ne sait comment et dans quoi, livre une bataille pour remplir les fameux « gallons jaunes ». S’ensuivent bousculades, brouhaha, détonations et jets de pierres. Dans le meilleur des cas, des gens finissent à l’hôpital. Dans le pire, à la morgue. Quant aux longues files de véhicules, leurs propriétaires se résignent à passer plusieurs jours sur place espérant à leur tour d’être devant le pompiste pour faire le plein et remplir plusieurs gallons de réserve. Scénario pour le moins improbable pour ne pas dire impossible.

Les transporteurs des produits pétroliers sont menacés et attaqués par les bandits alors qu’ils essayaient de braver le danger qu’est devenue la traversée de Martissant. Certains chauffeurs de camion-citerne ont été kidnappés, d’autres contraints de prendre la poudre d’escampette abandonnant camion et effets personnels, et peut être un job qui faisait vivre toute une famille. De Portail Léogane à Carrefour, les gangs dominent, paradent et font la loi. La circulation des véhicules sur la route nationale numéro 2 conduisant au terminal pétrolier Thor à Carrefour devient quasi impossible. À noter que, le terminal Varreux est toujours dysfonctionnel pour les mêmes raisons.

En Haïti on vit au jour le jour, on apprend jamais à anticiper les problèmes. On vit dans le présent. « Jou ou wè a se li ou konte ». Ce n’est plus dans nos codes de planifier, de prévoir et de faire des projets d’avenir. Des projets à long terme. Gérer le quotidien devient une priorité, c’est vital. S’il arrive qu’un projet se concrétise, il est petit et de faible portée. En ce qui concerne par exemple le carburant, il y a un véritable problème de stockage en plus de sa disponibilité irrégulière. Seul Port-au-Prince conserve tous les produits pétroliers, ce qui veut dire que le reste du pays dépend du terminal Thor et du Terminal Varreux. En effet, l’État n’a rien fait de concret pour pallier ce problème. Les autorités haïtiennes assistent, impuissantes comme chaque citoyen(e), les gangs qui contrôlent et décident de tout. Après plusieurs mots d’ordre de grèves lancées par des secteurs de la société civile, le problème reste entier et le pays est complètement paralysé à l’heure actuelle en raison de la rareté du désormais précieux liquide.

La terreur des gangs armés

Parallèlement, il y a la criminalité qui, non seulement prend des proportions alarmantes, mais aussi qui s’installe aujourd’hui dans notre quotidien. Depuis après l’évènement du 12 mars au Village de Dieu où le pays avait perdu au moins 5 de ses fils policiers face au redoutable chef de gang surnommé Izo, les bandits ont compris que la police est impuissante face à eux. Durant ces 3 derniers mois, plusieurs individus ont été kidnappés et tués partout à travers le pays. Jusqu’à présent, les 17 missionnaires étrangers enlevés depuis plus de deux semaines se retrouvent aux mains de leurs ravisseurs. Le samedi 30 octobre un couple a été kidnappé à Montagne Noire ; le professeur Patrice M. Derenoncourt, kidnappé et tué par les bandits ; et sans oublier plusieurs attaques faites à l’intérieure des églises, sur des religieux. Léon Charles n’a jamais eu le contrôle pour enfin stopper cette hémorragie. Ainsi va Haïti, il a démissionné et laisser le pays aux mains des gangs.

Dans pareille circonstance nul n’est épargné. Ceux qui sont là pour nous protéger sont parfois dépourvus de moyens ou de volonté. Les individus illégalement armés sont mieux équipés. Ce qui donne de janvier jusqu’à date, plus de 40 policiers tués selon les chiffres de la PNH, des commissariats, sous-commissariats et des magasins brulés, pillés par les gangs. Le pire, des instituions policières sont obligées de fermer leurs portes sous la menace des bandits. À Cité Soleil, à La Saline, à Martissant, au bas Delmas, la situation est inquiétante pour les riverains. À chaque opération policière, on enregistre des pertes en vie humaine et en matériels du côté de la police. La PNH est impuissante faces aux bandes armées.

Aujourd’hui Haïti a ses propres déplacés internes. Une chose normale pour l’ONU et pour l’État haïtien. Depuis le début d’une guerre entre Grand Ravine, Tibwa et Village de Dieu, on parle de couloir humanitaire sans jamais penser à traquer ses malfrats. Environ 50 morts. 8 500 déplacés, le bilan de la bataille que livrent les gangs rivaux dans la Capitale. Ces déplacés se trouvent toujours au Centre sportif de Carrefour déjà oubliés par l’État et vivent à la merci de quelques ONG.

Sous la gouvernance de Ariel Henry, sous la direction de Franzt Elbé comme DG de la PNH, remplaçant Léon Charles, la République est méconnaissable. Le chef du gouvernement a tout, sauf le contrôle du pays. Pourtant à chaque déclaration publique, il tente de rassurer la population, à chaque rencontre avec un étranger il affiche ses photos et devient la star des réseaux sociaux. Cependant, les bandits continuent de terroriser la population, l’approvisionnement des stations d’essence en carburant est toujours impossible.

Le PM Ariel Henry attend quoi pour passer de la parole aux actes ? Pour dissiper le doute sur la relation entre les autorités étatiques et les gangs armés ? Les autorités doivent agir. Pour sauver ce peuple, pour éviter le pire, l’État haïtien doit sortir le grand jeu. Il doit adopter des mesures drastiques. L’État ne peut pas abdiquer. Il doit répondre à la terreur installée par les malfrats. L’État doit reprendre le contrôle du pays. Les chefs aux commandes doivent mettre la machine en marche pour envoyer des signaux clairs aux délinquants de tout poil et de tout acabit, de les placer hors d’état de nuire. Pour que les fêtes de fin d’année ne soient pas hypothéquées. Chaque heure compte.

Le Coronavirus : l’autre ennemi silencieux

Depuis l’annonce de la troisième vague en juin dernier et la présence des nouveaux variants en septembre, le nouveau coronavirus est devenu plus menaçant et meurtrier. Les cas se multiplient. Les gens sont hospitalisés, certains meurent. Dans un contexte où l’insécurité bat son plein, les individus touchés par la pandémie sont de plus en plus inquiets.

Après une période en baisse de la pandémie, nous sommes confrontés à une nouvelle vague et d’autres variants. En Haïti, le variant anglais et le variant brésilien ont fait peur en juin et juillet de cette année. 1 826 cas Covid-19 et 44 décès du 1er au 14 juin, selon les chiffres officiels du MSPP.

Parmi ces victimes, il y a des personnalités publiques : Chesnel Pierre, le Directeur Général de l’Office National d’Assurance-Vieillesse (ONA), décédé après avoir été testé positif ; pareil pour le Directeur administratif de cette même institution ; le président de la Cour de Cassation, Me René Sylvestre et d’autres individus connus ont été fauché par la Covid -19.

Une urgence sanitaire

La montée des cas d’infection fait craindre le pire. Quand en juillet dernier on avait enregistré 1 826 cas, des centres pour la Covid-19 étaient saturés, tel que l’Hôpital Saint Luc ; d’autres centres ont dû fermer leurs portes et d’autres encore devenaient inaccessibles en raison de la guerre des gangs. À noter que depuis l’apparition de ce virus, c’est pour la première fois qu’on a enregistré autant de cas en si peu de temps.

Ajouter aux problèmes d’infrastructures, il faut s’y faire avec un personnel peu qualifié en la matière et un manque criant des matériels sanitaires appropriés. Le manque d’oxygène dans les hôpitaux est l’une des causes qui engendre de nombreux décès. Entre temps, la propagation du virus se poursuit et de nouveaux cadavres seront mis en terre. Tels sont les maux d’un peuple qui espère combattre un ennemi invisible, silencieux.

Jusqu’à présent, l’État à travers le Ministère de la Santé Publique et de la Population, est absent. Aucune politique de sensibilisation, plus de distributions massives de masques. Les citoyens baladent sans respecter les mesures barrières. Dans un communiqué publié le 16 juin 2021, les autorités sanitaires ont enregistré pour la journée du 15 juin, 132 cas, 12 décès et 24 individus hospitalisés. Et le jeudi 17 juin, le MSPP disait avoir enregistré 232 cas et 4 décès. Depuis l’apparition des variants Delta et MU qui circulent sur le territoire depuis le 16 septembre dernier, le danger a augmenté. Ces variants sont dangereux et se propagent très rapide dans les organes. Aujourd’hui en Haïti les chiffres font état de 23 468 cas de contamination et 658 décès selon un rapport de l’Organisation Panaméricaine de la Santé. Pas d’autres mis à jour depuis lors. Pour gérer la crise sanitaire, en 2020 l’international avait octroyé une enveloppe de 50 millions de dollars.

Et la vie devient plus chère

Aujourd’hui, les haïtiens sont confrontés à la cherté de la vie. Marchands et consommateurs, tous se plaignent. La rareté du carburant a fait flamber les prix. Le panier de la ménagère coûte deux fois plus ou presque. Ce début de mois de novembre comparé au mois d’octobre en donne une idée. Les prix des produits de première nécessité ont carrément grimpé. Le sac de riz qui était à 1 150 gourdes est passé à 1 400 gourdes ; le sucre était à 2 250 gourdes, est maintenant à environ 2 500 gourdes. Depuis 2 semaines, le pain et l’eau se font rares, denrées de base dans les familles haïtiennes.

Depuis environ 4 mois, Haïti est sous alerte rouge. 16 semaines de plus dans l’insécurité. 123 jours de pénurie de carburant. Pour les 744 heures qui restent pour clôturer l’année 2021, c’est l’incertitude la plus totale. Une Capitale en mode Cowboy, où on est exposé à tout, notamment aux balles perdues finalement assassines. À l’instar de ces balles qui ont fauché la vie de deux vieillards à Martissant samedi dernier. L’équipe en place a seulement 44 640 minutes pour montrer sa capacité sinon sa volonté réelle à contrer les menées sordides des bandits armés.

Toussaint Lamy