La campagne de vaccination lancée par le Ministère de la Santé Publique et de la Population (MSPP) depuis le 16 juillet 2021, peine à être effective. Depuis son lancement, peu de gens ont été vaccinés si l’on tient compte des données disponibles. Sur les 500 000 mille doses offertes par les États-Unis, pour 250 000 mille personnes, seulement 27 mille ont reçu leurs deux doses jusqu’à mi-octobre, selon un rapport du MSPP. Cet état de fait s’explique de plusieurs manières selon les observations. Parmi elles, la réticence des citoyens à se faire inoculer le vaccin. Ces derniers très méfiants, redoutent les effets indésirables. En effet, vacciner la population se révèle un défi de taille pour les autorités sanitaires du pays.

Réticence des citoyens, quelles en sont les raisons?

Il n’est un secret pour personne. Une grande majorité de la population haïtienne est sceptique à l’idée de se faire vacciner pour se préserver contre le coronavirus. Certains boudent tout carrément le liquide médical. D’autres le rejettent d’un revers de main. Le vaccin tue, rend stérile, paralyse, détruit les reins, accusations qu’on entend à longueur de journée, portées contre le médicament. Professionnels, étudiants, citoyens lambda… cette mauvaise perception du vaccin anti-COVID traverse toutes les couches sociales du pays. Les raisons avancées pour expliquer leur entêtement à se faire vacciner sont multiples et varient d’un citoyen à l’autre.

Géralda Raymond est enseignante. Elle n’entend pas prendre le vaccin. « Je refuse de me faire injecter le vaccin. Car selon mes constats, ce dernier n’épargne en rien. Des gens vaccinés contractent le virus et meurent malgré tout » lâche la normalienne. Elle croit également qu’il s’agit d’un piège des puissances mondiales qui veulent nous prendre, dit-elle, dans leur filet. « Mon petit doigt me dit que le vaccin est leur arme pour réduire le taux de natalité et la population mondiale », s’obstine-t-elle.

Même son de cloche du côté de Solon Anderby, étudiant en anthropo-sociologie à la Faculté d’Ethnologie, qui lui, s’interroge sur le mobile du vaccin. « Pourquoi les européens refusent le vaccin? Pourquoi ils font pression sur nous pour l’accepter? Je sens qu’il y a anguille sous roche », conclut l’ethnologue en gestation. Mirlande pour sa part voit dans la dose médicale une bête noire. Un poison lent qui détruit à petit feu. « J’entends dire que tous les gens vaccinés mourront dans deux ans, et le vaccin rend stérile, confie la commerçante, la mine grise. Je ne le prendrai pour rien au monde », martèle-t-elle, chassant une nuée de mouches s’abattant sur ses morceaux de « poulets décolorés ».

Kenken anisi connu, est chauffeur de taxi moto. Juché sur son engin, l’air grave et pensif. Le jeune garçon de 24 ans prend à contre-pied toute idée de se faire vacciner. « Même dans mes rêves, je refuserai le vaccin », lance-t-il, catégorique. Nous n’avons pas un problème de vaccin, le coronavirus nous aurait tous tué s’il était fait pour les haïtiens », lâche-t-il. Kenken fustige au passage la passivité des autorités qui ne font rien pour que le carburant soit disponible sur le marché local qui pour lui, est un problème réel.

 

Ceux qui acceptent de se faire vacciner…

D’autres citoyens pourtant, volontiers, sans contrainte aucune, ont décidé de prendre le vaccin. Ils y voient dans ce geste, un acte de responsabilité et de citoyenneté. Du nombre: Thénive Antoine, infirmière en santé communautaire. Elle dit avoir pris les deux doses pour se prémunir contre les formes graves du virus, mais également pour protéger son entourage. « Vacciner n’est qu’une simple formalité, c’est comme se faire injecter n’importe quel autre médicament, il n’y a rien d’anormal », indique la professionnelle de santé.

Une idée partagée par Angelore Raymond, gestionnaire et entrepreneure. La trentenaire dit s’être fait vacciner de son plein gré, sans idées préconçues sur le médicament. « Je ne vois aucune anomalie dans le vaccin, c’est comme tout autre vaccin », soutient-elle d’un ton ferme. « J’encourage tous mes proches et la population à prendre le vaccin pour se préserver contre le variant Delta qui est plus violent selon les experts », prêche la patronne de YOLA. Edvar Polynice, psychologue clinicien est du même avis. Malgré l’inquiétude de sa famille et de quelques amis, il s’est quand même fait vacciner, voulant lancer un signal clair à ces derniers.

Jean jean Roosevelt, Ambassadeur de bonne volonté de l’UNICEF prenant sa 2e dose de vaccin à l’Hôpital La Paix de Delmas 33.

Vacciner la population haïtienne n’a pas toujours été chose aisée

À chaque épidémie, à chaque nouvelle vague de contagion qui nécessite une intervention vaccinale à grande échelle, toujours un combat. Le début n’est jamais aisé. Les gens refusent toujours au départ de se laisser vacciner, à en croire Thénive, qui traîne derrière elle plus d’une décennie d’expérience dans le milieu médical. Elle relate pour preuve, ce cas de figure en 2015 avec l’apparition du vaccin Pentavalent qui combattait la diphtérie, la coqueluche, le tétanos (DTC), l’hépatite B et Haemophilus influenzae type B (Hib).

Selon une enquête menée en avril 2021 par le groupe « Saftek Reasearch », fournisseur de service de recherche et d’analyse, 76% d’haïtiens n’entendaient pas se faire vacciner contre 9% seulement qui l’accepteraient. Une étude qui avait été menée sur un échantillon final de 561 participants, âgés d’au moins 15 ans. Les femmes seraient plus récalcitrantes. Car 80% d’elles contre 72% d’hommes aurait rejeté l’idée de se faire vacciner contre la Covid-19. L’enquête de « Saftek Research » a aussi révélé que les gens éduqués seraient plus opiniâtres vis-à-vis du vaccin. 17% d’entre eux dépassant le secondaire l’accepteraient, contre 22% qui n’ont pas fait le secondaire.

De l’avis du professeur de sociologie à l’Université d’État d’Haïti, Michel Accacia, les haïtiens développent de plus en plus une méfiance face à la gratuité et au désintéressement. Ce qui pourrait expliquer leur rébellion. « Nombre d’haïtiens, en particulier ceux des couches sociales défavorisées économiquement, interprètent l’offre de vaccination comme un don qui se voudrait être désintéressé, et y voient un piège », soutient l’auteur de  » Historicité et structuration sociale en Haïti « .

Qu’en est-il du vaccin MODERNA?

Le vaccin Moderna a été approuvé par l’OMS après de minutieuses études menées par un groupe d’experts internationaux indépendants. Ce dernier a été aussi évalué par plusieurs agences de régulation nationales, dont celle d’Haïti. Évaluations qui ont montré que le vaccin est sûr. Qu’il n’a rien à craindre, selon l’Organisation Mondiale de la Santé. Moderna s’administre en deux doses entre 28 jours. Toute personne âgée d’au moins 18 ans ne présentant pas antérieurement de réactions allergiques à l’un des composants du vaccin, peut être vaccinée. Les femmes enceintes ne sont pas exclues. Au contraire, face aux risques élevés auxquels elles sont exposées en raison de leur grossesse, les femmes portant un bébé y figurent en tête de liste des personnes vulnérables aux complications liées à la Covid-19. Elles sont comptées parmi les premières personnes à vacciner.

Après l’injonction, quelques effets indésirables peuvent s’en suivre. Comme une légère fièvre, fatigue, maux de tête, douleurs musculaires, frissons, diarrhée et douleur au point d’injection. Effets qui peuvent être vite gérés, sans difficultés. Il suffit d’un peu de repos, de liquide non alcoolisé, du paracétamol, de l’acétaminophène pour les effets typiques. Toutefois, l’OMS n’écarte pas la possibilité d’effets secondaires graves et durables, ce qui est rarissime, relativise l’organisme. Car le vaccin Moderna fait montre d’une efficacité qui avoisine les 92%, rassure l’OMS.

Le Coronavirus, encore et toujours une bête noire pour la planète…

Le coronavirus est peut-être le virus le plus mortel des trois dernières décennies. Le virus qui aurait été découvert en Chine à wuhan, petite ville située à 850 kilomètres à l’ouest de Shanghaï par le médecin Li Wenliang en janvier 2019, s’est propagé à la vitesse de la lumière et a déjà décimé des centaines de millier de vies sur la planète.

Plus de 236 millions 232mille 480 cas d’infection ont été officiellement diagnostiqués, 4 millions 822 mille 267 morts ont été recensés à travers le monde depuis le début de la pandémie, selon un rapport de l’AFP. En Haïti Les chiffres font état de 23 mille 468 cas de contamination et 658 décès selon un rapport de l’Organisation Panaméricaine de la Santé (OPS).

Après les deux premiers cas annoncés en mars 2020, les dirigeants haïtiens ont eu toutes les peines du monde à faire appliquer les restrictions sanitaires, annoncées pourtant tambour battant.

Le lavage des mains, distanciation physique, port du masque, confinement, entre autres mesures ont été minorées et ignorées par une bonne partie de la population. Alors que les dangereux variants Delta et MU qui circulent sur le territoire depuis le 16 septembre dernier, se propagent comme un éclair dans les organes, à en croire les spécialistes.

Entre temps, le pays s’enlise dans une crise socio-politique presque sans repères, et s’enfonce vers l’inconnu. Ajouter à cela, une situation sécuritaire délétère, qui vient compliquer la tâche pour le MSPP. La gestion de la pandémie est reléguée aux confins. La campagne vaccinale est piétinée. Pour comble, les autorités sanitaires se heurtent à l’obstination et à la méfiance des citoyens à prendre le vaccin, désormais d’ordre mondiale. Soulignons que jusqu’au 25 septembre 2021, Haïti se trouvait au bas du classement vaccinal des pays de l’Amérique avec un taux de vaccination de 0,37%, selon « Our World in Data ». Notons également que les doses Moderna, don des États-Unis d’Amérique, arrivent à expiration ce mois de novembre.

Miwatson St-Jour