Remise Alexis, une non-voyante au parcours inspirant
Les personnes handicapées sont dites d’une catégorie fragile et sensible. Ces dernières, frappées d’une déficience physique ou mentale, se voient tout carrément exclues de la société, sinon presque. Leur accès en tout, est très limité. Elles sont comme des éternels damnés. Pour cette catégorie, évoluer et réussir dans une société comme la nôtre, traversée par des préjugés, s’avère tout simplement utopique. Pourtant, à l’instar de toute personne dite normale, les personnes à mobilité réduite ont des capacités, souvent énormes. L’histoire de Remise Alexis peut en témoigner grandement.
Remise Alexis a vu le jour à Beaumont, commune de la Grand’Anse, situé à 2548km de la capitale. Elle était à sa naissance ce que les médecins appelleraient un bébé normal et en bonne santé. Pourtant, quelques semaines après, la donne allait changer. Ses yeux changeaient de couleur tout à coup. Le hic, les médecins après moult examens ont donné le verdict: Remise ne pourra plus jamais voir, elle est frappée de cécité. Une nouvelle qui a secoué toute la famille.
Être handicapé, un péché qu’il ne faut pas commettre… ?
En Haïti, êtrehandicapé est un péché condamnable. Un poids, un fardeau… Remise allait le comprendre très tôt. Car déjà , pour trouver une école adéquate, ses parents ont dû quitter Jérémie pour rentrer à Port-au-Prince. Sous les conseils de certains proches, ils l’ont inscrite à St Vincent, un centre d’éducation spéciale. « Le début n’était pas aisé, mais j’allais m’adapter en peu de temps grâce aux matériels spéciaux », raconte Remise. Au centre, l’ambiance était conviviale, ce qui l’avait mis dans sa peau.  » On se comprenait, se tolérait, s’entraidait entre déficients », affirme-t-elle.
« S’adapter dans une société qui fait tout pour t’exclure, n’est que mission impossible ». Après la 9ème année fondamentale, Remise avait du mal à trouver d’autres écoles adaptées pour pouvoir continuer ses études classiques. Les établissements approchés par ses parents refusaient catégoriquement de l’accepter en raison de son handicap visuel. « Les écoles n’ont pas voulu de moi parce que j’étais aveugle. Un responsable d’un établissement scolaire avait clairement fait comprendre à mes parents qu’il n’a pas d’école pour aveugle, ce qui m’a piqué au vif », lâche la jeune femme, la voix teintée de tristesse.
BSEIPH, ENPAK et AKA présentent la version créole de la convention relative aux droits des personnes handicapéeshttps://t.co/neNiAIBO4e@DesirSoinette pic.twitter.com/kfEetZnVWf
— BSEIPH (@BSEIPH) May 11, 2021
Entre exclusion, obstacles et détermination
Enfin admise à une école qui l’a accepté sous conditions strictes, la native de Beaumont allait connaître un calvaire. Ses camarades se moquaient toujours d’elle. On lui accolait toutes les mauvaises étiquettes, toutes les mauvaises épithètes. Ses pairs l’ont même surnommé  » dread lock » en raison de ses tresses, car elle ne pouvait pas se coiffer souvent. « À leurs yeux, j’incarnais le mal. J’étais la première suspecte de tous impairs », lâche Remise, décontenancée. « Parfois je leur entendais dire: l’aveugle fait semblant de ne pas voir, de ne pas nous contrôler pourtant elle nous surveille de près », poursuit-elle.
En plus de la discrimination dont Remise faisait l’objet, elle faisait face aussi à l’inadaptation des matériels didactiques, car hormis St Vincent, les autres écoles fréquentées étaient construites en dehors des normes d’accessibilité. Ce qui a rendu la tâche plus compliquée pour Remise quand elle devrait circuler. « Je ne pouvais pas me déplacer dans ces écoles sans un guide. Me rendre aux toilettes devenait nuisible, il fallait toujours trouver quelqu’un pour m’aider », explique-t-elle, l’air embarrassé. Remise Alexis a dû quitter cette école pour y passer deux années dans un autre établissement où elle a obtenu son bac I, avant de concrétiser un rêve: boucler le cycle classique au lycée Anténor Firmin et décrocher son diplôme d’étude secondaire, en 2015. Un exploit. Un miracle.
Dans la tête de Remise les rêves ne manquaient pas. Non-voyante, elle voyait déjà son chemin et s’attelait à le tracer. Pour y parvenir, elle lui fallait un courage hors norme et un mental de fer.  » Pour en arriver là où je suis aujourd’hui, j’ai passé sous les fourches caudines. J’ai titubé entre mille obstacles : humiliations, discrimination, stigmatisation, incompréhensions, difficultés économiques, sont entre autres, les barrières que j’ai dû défoncer », pérore la jeune femme, visiblement satisfaite. Les deux bacs n’ont pourtant pas étanché la soif de réussite de Remise. Elle vise encore plus loin, très loin. Car il faut à tout prix relever d’autres défis, et faire taire les mauvaises langues.
Le handicap ne doit pas être une barrière
La jeune bachelière croit que son handicap ne doit en aucun cas constituer un frein à ses objectifs. Ayant le goût du risque, elle met le curseur désormais sur le journalisme et s’oriente vers l’ISNAC (Centre de Formation en Communication et en Administration). Elle y a étudié le journalisme, et est graduée en 2017. En dépit de multiples difficultés rencontrées là -bas, la jeune dame n’a pas lâché du lest. Elle tenait mordicus.  » J’ai beaucoup souffert. J’ai vécu des choses horribles, toutes les conditions étaient réunies pour que j’abandonne, j’y ai pensé mille et une fois », confie la trentenaire. « D’ailleurs mes proches m’ont découragé quand ils savaient que j’ai voulu étudier le journalisme, révèle-t-elle avec embarras.
Remise Alexis a finalement remporté la timbale. Elle a été honorée par le parrain de sa promotion et l’administration de l’école le jour de sa graduation. Un moment étincelant dans sa vie. Elle se souvient comme si c’était hier: « j’ai été toute émue quand on m’avait invité à gravir le stage. Je ne savais pas pourquoi et c’est alors que le parrain m’avait félicité pour mon courage et ma détermination », se rappelle-t-elle, la voix toute enjouée. À la faveur du centre de l’ISNAC, Remise avait bénéficié d’un stage à la TNH, où elle a fait une expérience fructueuse, selon elle.
Toujours habitée par le désir de réaliser des prouesses, ce que les gens croyaient impossible pour elle, Remise s’est orientée vers l’université Quisqueya. Filière : sciences de l’éducation. Car, croit-t-elle, l’éducation est la seule porte de sortie, la seule planche de salut pour les personnes à besoins spéciaux notamment. Mais elle y a passé seulement quelques mois, faute d’accompagnement. Comme d’habitude, les autorités de l’État ne tiennent pas souvent leurs promesses. Le ministre de l’éducation de l’époque, Pierre Josué Agénor Cadet, avait promis lors d’une cérémonie officielle que l’État s’en chargerait des frais académiques d’un groupe de bacheliers à besoins spéciaux, duquel Remise faisait partie. « C’est à la troisième session lorsque l’administration de l’université m’a interdit l’accès en salle de cours que j’ai su que le ministère n’avait pas versé un sous à l’économat », explique-t-elle, avec regret.
« Depuis lors toutes mes démarches auprès des autorités se sont révélées vaines », se désole la journaliste.
Aujourd’hui la battante qu’est Remise continue de lutter. Elle refuse de baisser les bras quoiqu’il advienne. Elle est dotée d’une estime de soi sans commune mesure. D’ailleurs, elle étudie actuellement l’anglais dans le but de parfaire son savoir et de s’ouvrir à d’autres horizons.
En Haïti, les personnes comme Remise Alexis qui souffre d’une déficience physique ou mentale sont estimées à 1 million, soit 10% de la population. Afin de les protéger et de garantir leurs droits, des lois ont été promulguées, des conventions ont été signées et ratifiées. C’est le cas de la loi du 21 mai 2012 qui, en son article 44 garantit l’intégration des personnes déficientes sur le marché du travail. Pourtant Haïti est classé par L’ONU comme un pays où les droits des personnes handicapées ne sont pas respectés, selon un rapport de l’institution, paru en février 2018.
Miwatson ST JOUR et Wandy CHARLES