L’entrée Sud de la capitale haïtienne est partiellement bloquée depuis tantôt deux mois. À la base de cette situation, deux gangs armés rivaux se disputent le contrôle de certains quartiers de la zone. Ces derniers décident du sort de quatre départements géographiques importants. Comme si ce n’était pas assez, l’entrée Nord est sur le point de connaître le même sort. Le conflit entre des individus armés de « Cité Soleil », de « Terre Noire » et de « Pierre 6 » s’intensifie depuis le début de cette semaine. Résultat: des morts, des disparus, des blessés ont été enregistrés. Une situation qui impacte négativement sur les conditions de vie des habitants de ces zones, déjà très précaires.

8heure 25 du matin. À moto, nous empruntons la route nationale #1. Au rond-point de Bon repos, l’avalanche des passagers qui poireautent, nous donne une idée de la situation. La station est orpheline des tap-taps et bus qui assurent ordinairement le transport en commun. La circulation est dense. Un bon nombre de riverains, parmi eux des élèves du NS4 en examen officiel font l’exercice périlleux: prendre la route à pied. D’autres sont contraints de payer un taxi moto à prix fort.
« J’en ai marre de cette situation. Cela fait trois jours que je dois marcher des kilomètres à pied pour regagner mon centre d’examen, car je n’ai pas suffisamment d’argent pour me payer une moto », lâche un élève de la terminale, visiblement indigné.

Le tronçon reliant le rond-point au sous-commissariat de Bon Repos indique clairement que les piétons comme les chauffeurs n’ont pas la vie facile ici. Elle est dans un piteux état. À part l’embouteillage, des flaques d’eau obligent les motards à engager ce qui resterait comme trottoir, croulé sous de la boue et des tonnes de déchets. Le petit marché surnommé marché croix-des bossales de bon repos » rappelle celui du bicentenaire. Une odeur pestilentielle empeste l’air. Une pile d’immondices amoindrit la route, compliquant davantage la circulation.

À cause de la situation de terreur qui s’instaure sur la route 9, les habitants de l’entrée nord du pays évitent cette voie et s’orientent vers Shada, Croix-des-missions et Cazeau… Ces zones reçoivent un flux inhabituel d’usagers de la route, ce qui rendrait la circulation aussi difficile. C’est en tout cas ce que croit Ronald, chauffeur d’autobus. « D’ordinaire nous effectuons dix voyages par jour, là nous ne pouvons même pas en réaliser trois », se désole un autre chauffeur le visage dégoulinant de sueur derrière son volant, et assurant le trajet Bons-repos – Centre-ville. À en croire notre interlocuteur, d’autres chauffeurs, en raison du blocus, ont dû bifurquer par Lilavois, Santo, Tabarre pour se rendre au Centre-ville. Ce qui n’est pas sans conséquence, car le prix des courses a doublé, nous confie l’homme frisant la quarantaine.

De longues files de voitures interminables. La route à deux voies n’en compte plus qu’une seule. À carrefour Marin, les bouchons sont encore plus serrés. Des coups de klaxons fusent…Des motards endiablés serpentent, s’entrecroisent, s’entrechoquent pour créer une brèche dans cet imbroglio. Deux policiers tentent tant bien que mal de remettre un peu d’ordre, une tâche ardue…

Sur le chemin du retour…

1 heure 35 pm. Nous sommes dans un bus à « Carrefour Aéroport ». La gare remplie de gros bus jaunes et de ses occupants, bouillonne sous un soleil de plomb. Nous avons la nouvelle que les hommes armés donnent un répit, qu’il y aurait passage sur la route 9. Cependant les plus braves seulement osent s’aventurer sur cette route, de toute vraisemblance. Les gens semblent déjà oublier la mort du Président Jovenel Moïse, car le sujet qui enflamme les débats est  » la guerre entre gangs rivauxqui fait rage à l’entrée nord de la capitale ».
L’itinéraire habituel: franchir la route de l’aéroport en passant par « Trois mains » avant de déboucher sur Carrefour Drouillard. Là, le grand cimetière, l’œuvre du dictateur François Duvalier, construit en 1969, semble être l’unique empreinte de l’État dans cette zone. L’antenne de Drouillard est abandonnée par les policiers depuis un mois suite à une attaque d’individus lourdement armés qui avaient tout balayé sur leur passage.

Les vivants de « kafou lanmò »

Le chauffeur de l’auto-bus refuse Carrefour Vincent pour se diriger vers « Kafou lanmò « , une décision qui soulève un vent de panique dans l’engin. Sur les visages des passagers, dans leur voix, l’inquiétude et la peur sont palpables. Le vendeur ambulant communément appelé « ajan maketting » qui ventait à tue-tête la qualité des produits pharmaceutique, échappant d’ailleurs au contrôle de l’État, se tue.
Des voyageurs furieux menacent de s’en prendre au chauffeur têtu s’il leur arriverait un quelconque malheur.  » On peut nous dépouiller de tout, on s’en fout. Notre argent, nos téléphones, mais dis-toi que tu ne rentras pas vivant chez toi » vocifère un passager, les yeux pétillants de colère. « On te brûlera vif, lance un autre sur un ton cynique, comme pour corroborer son pair.
À Carrefour « lanmò « , le contraste est saisissant. Plus d’une dizaine d’individus lourdement armés montent la garde dans une maison délabrée au bord de la route, devant laquelle des sacs remplis de terre sont rangés. Deux hommes se dissimulent dans le feuillage verdoyant d’un arbre. D’autres, apparemment jeunes, torses nues, le visage caché avec des t-shirts, certains à visages découverts se massent dans le carrefour. Un coup de klaxon, un second, un troisième plus retentissant…pour saluer ces hommes, seuls maîtres des lieux, qui partagent leur emprise avec une insalubrité déconcertante. Une voix masculine lance:  » ale non ».

Le chauffeur démarre en trombe et continue de rouler à vive allure. Carrefour Duvivier présente un visage fantôme. Quelques rares taxilleurs se pointent. Le sous-commissariat, seul symbole étatique, avait connu le même sort que l’antenne de Drouillard et de « Station Gonaïves ». L’inspecteur divisionnaire Myradel Adolphe a été tué lors de l’attaque pour avoir refusé d’obtempérer.

À Carrefour Canaan 2, des petits détaillants étalent leurs négoces à même la chaussée, à proximité du centre sportif l’espoir d’Haïti non achevé. L’image que présente la configuration de la zone est désolante et met à nue l’irresponsabilité de nos dirigeants. À un jet de pierre, Canaan 50 et 70 sont eux aussi pris d’assaut par des civils armés qui volent, violent, terrorisent la population en toute quiétude.

Faut-il rappeler que Shada, Croix-des-Missions, Butte Boyer sont aussi des zones contrôlées par des hommes armés. Et ces caïds, insatiables, coloniseront chaque parcelle, chaque mètre carré et chaque contré au vu et au su des autorités constituées qui, en lieu et place de mesures drastiques, ont pris cette fâcheuse habitude d’abdiquer par des aveux d’impuissance.

Miwatson St Jour