Depuis le séisme du 12 Janvier 2010, la présence des musulmans devient de plus en plus significative en Haïti. Étant une religion fondée sur des principes de vie et de pureté, les racines de l’Islam dans le pays remontent depuis le temps de la lutte contre l’esclavage. Jusqu’à présent, elle n’est pas considérée comme une religion à part entière par les lois haïtiennes. Pourtant, ses actions sociales posées dans la communauté haïtienne lui confère toute légitimité.

12h30. L’Imam de la Mosquée Lakou Boukman fait son apparition devant la porte. Un chant rituel universel guide les adhérents à se rendre à l’intérieur de la Mosquée, un lieu de culte bien airée. La surface de cette grande salle est recouverte d’un paillasson découpé à l’aide d’un adhésif qui dessine des lignes diagonales et parallèles. Elles indiquent l’alignement et la position au moment de la prière. Pas plus que deux (2) bancs dans la salle seulement pour les visiteurs. Les membres s’assoient à même le sol. L’Imam gravit une petite estrade de cinq marches donnant accès à la chaire à partir de laquelle il va conduire la prière.

À l’intérieur les femmes sont derrières et les hommes devant. Non pas parce qu’ils sont misogynes mais par souci de moralité. « Ce n’est pas parce qu’on ne donne pas de valeur aux femmes. Ici. la prière se fait en inclinant ; une femme inclinée peut dévier l’attention de tous les hommes du but principal », justifie l’Imam Abdoul Manik.

À l’entrée de la Mosquée, un long banc de trois (3) ou quatre (4) étages est placé pour déposer les chaussures. On rentre dans la Mosquée les pieds nus. Un espace bien préparé avec de l’eau pour se purifier avant la prière. Tout se fait selon un rite. Il n’est pas permis aux invités de se « purifier ».

Devant la Mosquée, une affiche énumère les cinq prières journalières : FAJR (5h55 Am), DHUHR (1h Pm), ASR (4h25 Pm), MAGHIB (7h Pm), ISHA (8h Pm). Puis il y a la JUMU’A (1h Pm) qui est un rendez-vous hebdomadaire, chaque vendredi. Toutes les prières quotidiennes se font entre 5 à 10 minutes. La JUMU’A dure environ 60 minutes.

Islam et Haïti, une relation de longue date

Selon les croyances musulmanes, l’Islam était à Saint Domingue depuis la période esclavagiste. « Boukman était un musulman. Il avait dans son Djakout un livre que personne ne pouvait lire. Ce livre, était lisible de droite à gauche au lieu de gauche à droite. Il s’agissait du Saint Coran. Parce qu’il est le seul livre qui se lit ainsi », explique l’Imam Abdoul Manik de la Mosquée Masjid AT Tawheed.

Après cette période, les musulmans vont disparaitre en Haïti pour réapparaitre vers les années 90. En raison de ses nombreuses actions sociales dont la prise en charge des personnes rescapées, la religion aux cinq (5) prières journalières va avoir de nouveaux adhérents après le séisme dévastateur du 12 Janvier 2010 en Haïti. Dans un article publié le 10 octobre 2012 sur le site de La Presse Internationale, on peut lire : « Le désastre du 12 Janvier 2010 a attiré en Haïti des organisations humanitaires du monde entier notamment Islamic Relief USA (Secours Musulmans des Etats Unis) qui a construit 200 abris et une école secondaire ».

L’Islam plus qu’une religion, c’est un mode de vie

Née dans une famille musulmane dont le père (décédé) était un Imam, Illahi Jacques voit l’Islam comme un mode de vie simple et pur. « L’Islam a beaucoup de principes sur la vie et l’hygiène. Les musulmans ne mangent pas les épices importés. Ils ne consomment pas d’alcool ni de cigarette. Ils ne mangent pas la viande de porc », lâche-t-elle fièrement. Pour elle, les musulmans sont souvent en bonne santé. Tout ce qui est prohibé dans le Saint Coran est néfaste pour la santé. « Tout ce qui est impur se fait avec la main gauche. Comme, le lavage des mains après la selle », précise la jeune femme les yeux pleins de fougues.

L’Imam Abdoul Manik indique que « le ramadan qui est le mois de jeûne des musulmans a une grande importance spirituelle et matérielle. Parce que l’abstinence d’aliments durant la période, permet aux fidèles de l’Islam de se débarrasser des graisses intérieures. Et, les mets consommés pendant le moment de pèlerinage sont susceptibles de laver l’estomac d’éléments impures ».

Dans la religion islamique, le vivre ensemble prime. Les plus forts doivent inconditionnellement aider les plus faibles selon les prescrits du Saint Coran. Les enseignements sont fondés sur l’obéissance, la patience et le partage.

À Miragoâne, ils ont un cimetière spécialement pour inhumer les frères musulmans décédés.

Facade de la Mosquée At Thaweed - Crédit Photo : Page Facebook de la Mosquée
Facade de la Mosquée At Thaweed – Crédit Photo : Page Facebook de la Mosquée

Une représentation effective sur le territoire national

« Je ne suis pas en mesure de dire combien de Mosquées que nous avons en Haïti à date. Je pense qu’elles sont nombreuses. À Port-au-Prince nous en avons cinq (5), à Miragoâne, deux (2). Et, nous avons des Mosquées dans presque tous les départements géographiques du pays. La quantité peut varier entre 10 à 15 »,

mentionne le religieux.

La Mosquée Masjid At Tawheed habrite une école fondamentale reconnue par le Ministère de L’Éducation Nationale et de la Formation Professionnelle (MENFP). Pour l’heure, chaque Mosquée ne dispose pas d’une école, regrette l’Imam. Il reste tout de même positif, et rêve de voir s’implanter une école dans chaque Mosquée.

En plus des écoles et des Mosquées, les musulmans ont des orphelinats en Haïti. « Nous accueillons des enfants orphelins pour les encadrer, leur donner une formation de qualité qui leur permettra de trouver une place dans la société », soutient le musulman.

Le calvaire des musulmans en Haïti

La fille de l’Imam citée plus haut, a développé un amour et un attachement pour cette confession religieuse dès son très jeune âge. Elle vient de boucler ses études classiques. Et pourtant, à l’école les stigmatisations n’en manquaient pas. D’un air triste elle nous raconte : « Parce que je suis musulmane, souvent la société me juge très mal. À l’école, dès qu’un professeur dans un cours prononce le mot terroriste tout le monde se tourne vers moi, et me lance des regards accusateurs. Comme si L’Islam était synonyme de terrorisme. Parfois je me sentais un peu gênée même s’il s’agissait d’une plaisanterie entre camarades ».

« Une fois j’étais à Miragoâne dans le cadre de ma formation comme Imam et je priais, une dame est venue et a lancé des propos malsains et des injures à mon endroit. Comme si j’invoquais un démon. » Animée d’une sagesse et d’une maitrise de soi, l’Imam a pensé que cela est dû à une méconnaissance de la religion musulmane en tant que telle.

« Ajouter à ce lot de péripéties, certaines institutions exigent aux femmes musulmanes d’enlever leur voile. Ce qui est à l’encontre des prescriptions du Saint Coran», relate tristement l’Imam. Selon lui, la société haïtienne doit faire preuve de tolérance et d’acceptation envers les musulmans.

« Souvent on nous traite de démon pourtant nous adorons le même Dieu. Le Dieu créateur. L’Islam c’est l’amour, le partage, la paix et la pureté. L’Islam est une religion défensive jamais offensive. Avant de dire quoi que ce soit, j’invite tout le monde à s’approcher vers l’islam pour le comprendre et le connaitre. Ainsi, ils pourront distinguer le vrai du faux », souhaite l’Imam Abdoul Manik.

La Constitution haïtienne de 1987 amendée en son article 30 garantit une liberté de culte. Sur le plan religieux rien n’est encore dit. En attendant, les musulmans se multiplient. Et, les Mosquées continuent de s’établir un peu partout sur le territoire national.

Mackenlove Hyacinthe