Quelques heures seulement après l’assassinat du président Jovenel Moïse en sa résidence privée, le Premier Ministre a.i Claude Joseph a décrété l’état de siège sur tout le territoire national pour une durée de 15 jours. Cette décision, prise en conseil des ministres, enflamme la toile et donne lieu à des débats houleux. 

« Aucune place, aucune partie du territoire ne peut être déclarée en état de siège qu’en cas de guerre civile ou d’invasion de la part d’une force étrangère », stipule l’article 278 de la loi mère de la République d’Haïti. S’il est vrai que la Constitution, via cet article, admet l’état de siège, mais il n’en demeure pas moins qu’il en a fixé les règles.

L’état de siège est applicable dans un pays en guerre. Une fois effective, l’armée remplace la police. L’état de siège renferme donc un contexte particulier et un mode d’application propre aux évenements appropriés.

Selon Patrick Laurent, avocat du barreau de Port-au-Prince, intervenant sur les ondes de la radio Métropole, « cette décision prise par le Premier ministre a.i Claude Joseph, est en désaccord avec la Constitution de 1987″. « Puisque le pays n’est pas en guerre civile et il n’y a aucune intervention d’une force étrangère sur le sol national, l’état de siège n’est pas de bon ton », poursuit Me Laurent.

Désert constitutionnel : la situation s’enlise

« Cette situation de flou et d’imbroglio dans laquelle se trouve Haïti est exceptionnelle. La Constitution a souvent été violée depuis l’accession au pouvoir de Jovenel Moïse en 2017 », souligne le jeune politologue Woodly Dorléans. Pour l’étudiant en droit, l’ancien chef de l’État était considéré comme un président « de facto » pour avoir gardé le pouvoir au-delà de la durée de son mandat. Vu sous cet angle, M. Dorléans indique que même le chef de l’État ne pouvait pas déclarer l’état de siège en Haïti. Le politologue argue que le Premier ministre, qu’il qualifie de facto,  n’a nul droit, non plus, de s’offrir de tels privilèges. Et ce, quelques heures seulement après des évènements aussi surprenants que brutaux.

Julien Bourdon, professeur de droit public à l’Université Paris-Saclay, dans une intervention sur France 24 a tenu à rappeler que selon la Constitution de 1987 amendée en 2011, c’est le Conseil des Ministres réunis sous l’égide du Premier ministre qui droit exercer les fonctions laissées vacantes par un Président de la République. Puisque le Premier ministre nommé, Ariel Henry, n’avait pas encore été installé, il revient au gouvernement par intérim mené par Claude Joseph d’assurer la continuité de l’État, soutient le spécialiste en droit constitutionnel.

Les articles 278-1, 278-2, 278-3, 278-4

En se basant sur l’article 278 aux alinéas 1, 2, 3 et 4, tout acte posé par le pouvoir exécutif devrait être contrôlé par l’Assemblée Nationale. Dans son alinéa 4, l’article 278 stipule : l’Assemblée Nationale siège pendant toute la durée de l’état de siège.

Le pouvoir législatif n’est plus, nonobstant les 10 sénateurs restants, le pouvoir exécutif est inconstitutionnel, le pouvoir judiciaire est en crise.  C’est le  règne de l’illégalité et de l’inconstitutionnalité. « Dans une situation exceptionnelle, il faut une solution exceptionnelle », a préconisé l’ex-premier ministre Evans Paul sur les ondes de la radio Magic 9. « Alors, on ne peut plus parler de Constitution à ce stade où nous en sommes », poursuit le leader du parti politique KID.

« Le gouvernement démissionnaire n’est pas habilité à déclarer l’état de siège dans le pays. De ce fait, la Constitution a été carrément bafouée et foulée aux pieds », estiment divers secteurs de la vie nationale. À qui profite cette situation pour la moins confuse? Question qui reste jusqu’ici sans réponse.

Malgré l’ensemble de ces dénonciations portées contre l’équipe de Claude Joseph, le gouvernement américain via son ambassade en Haïti a apporté son soutien au Premier ministre a.i et exige que les élections soient organisées à la date fixée par l’organe électoral haïtien, soit le 26 septembre prochain.

Laurore Michel