Marie Suzy Legros : « On ne naît pas Bâtonnière, on le devient »
Élue à la tête du barreau de Port-au-Prince, depuis le 9 octobre 2020, Me Marie Suzy Legros est entrée dans l’histoire par la grande porte, en devenant la première femme à accéder à la fonction de Bâtonnière.
L’avocat le plus prestigieux d’Haïti est une avocate, Me Marie Suzie Legros. Bâtonnière de l’ordre depuis tantôt sept (7) mois, l’accueil favorable et grandiloquent qu’on lui a attribuée le jour de son élection à la basoche laisse croire, du moins en apparence, que cette dernière est : « La femme qu’il faut, à la place qu’il faut ».
Une femme respectable et respectée
Une femme bâtonnière en Haïti, on n’en trouve pas tous les jours… Si Madame Legros est devenue la première femme à accéder à ce poste depuis la création du barreau en 1859, c’est parce que son parcours est tout aussi inspirante que remarquable. Ses paires lui ont témoigné cette marque de reconnaissance par la voie des urnes en lui chargeant la fonction de bâtonnière à l’unanimité. 70 voix au total, dont la grande majorité était des hommes.
Une ascension fulgurante, faite conformément au prescrit de l’article 42 du décret du 29 mars 1979, réglementant la profession d’avocat en Haïti.
Selon la juriste, « les femmes ont beaucoup lutté pour créer leurs places dans les espaces de pouvoir, l’important, c’est qu’elles ne se laissent pas intimider. Moi, je ne me suis pas laissé faire, j’exerce mon métier comme n’importe quel professionnel masculin », enchaine l’avocate de profession, qui traîne derrière elle 32 ans de carrière.
D’après la plus ancienne femme inscrite au Barreau de Port-au-Prince, des femmes avocates dans les 18 juridictions du pays, il n’en manque pas. Il manque par contre un regard positif et médiatique sur le travail des femmes dans la sphère juridique. « Si les hommes font beaucoup plus parler d’eux dans le milieu juridique, c’est juste parce qu’ils font beaucoup plus de bruits, pas pare qu’ils sont forcément plus compétents. Les femmes elles, préfèrent travailler en silence pour rapporter le gain de cause à leurs clients », affirme l’avocate qui dit parler du haut de ses 32 ans d’expérience.
Pour elle, les stéréotypes sur les femmes dans le milieu juridique sont nombreux, mais la perception faisant croire que « tout bon avocat doit être un homme » est toute aussi sexiste qu’erronée.
« Il n’y a pas de différence entre un avocat et une avocate. Au tribunal, les femmes déploient la même fougue, la même agressivité pour défendre un client au même titre que n’importe quel avocat »,
rappelle la juriste de 62 ans.
32 ans au service du droit
Inscrite à son insu par son grand frère à la faculté de droit et des sciences économiques (FDSE) de l’université d’État d’Haïti (UEH), Me Legros s’est mariée à la profession d’avocat depuis 3 décennies.
« À tout juste trente ans, j’ai rejoint le cabinet Josaphat pour y faire un stage, ensuite je me suis inscrite au conseil des avocats en 1989, depuis je m’investis à bras-le-corps dans cette profession qui fait de moi « le défenseur de la veuve et de l’orphelin » », confie celle qui fait de la déontologie et de l’éthique ses boussoles.
Passionnée du droit, l’originaire de Port-au-Prince s’est évertuée à transmettre ses connaissances aux autres générations afin de mieux outiller les jeunes hommes et femmes qui aspirent à suivre son chemin. « Ma vie est partagée entre mes occupations familiales, le temple de Thémis, et le métier d’enseignante », explique la numéro un du barreau qui dit prendre grand plaisir à enseigner les jeunes élèves-avocats. Elle anime aussi, par occasion, des séminaires en faveur des jeunes à la capitale, en province mais aussi à l’association « Amicale de juristes haïtiens », créés par le juriste René Julien.
Une mission à accomplir
Parmi les mille et une mission que le poste de bâtonnière incombe à Me Legros, celles de défendre et protéger les avocats sont devenu cruciales pour elle, vu le contexte de son élection. Elue après l’assassinat crapuleux de son prédécesseur, le feu Me Monferrier Dorval, il est impératif pour la bâtonnière de contribuer à la résolution de l’affaire Dorval afin d’obtenir justice en faveur de ce dernier, au nom de tous les avocats du pays.
« L’assassinat de Me Dorval est une perte énorme pour le droit et pour le pays », déplore Me Legros. « Ce qui s’est passé le 28 août 2020 a été un coup fatal porté au système judiciaire haïtien », ajoute l’ancienne conseillère de Me Dorval attristée.
Personnage central de la profession d’avocat, la Bâtonnière dans ses rôles dit qu’elle doit : « Protéger les avocats ; défendre les membres de la corporation ; jouer le rôle de police ; diriger la corporation ; encadrer et former les élèves-avocats, gérer les plaintes ordinales ; ordonner les sanctions disciplinaires, etc. »
« Puisque l’assassinat de Me Dorval est une affaire actuellement devant la justice, je crois qu’avec le soutien des membres du barreau et une commission d’enquête internationale comme nous l’avons suggéré en octobre dernier, nous pouvons rendre justice à Me Dorval, à sa famille, à tous les avocats du pays et du même coup résoudre cette mystérieuse affaire qui, pour moi, est plus qu’un simple rôle, mais une mission », rassure Me Marie Suzy Legros pleine de détermination dans sa voix.