Bayakou en Haïti : un métier invisible face à un défi écologique majeur
À cause du déversement des matières fécales dans le milieu urbain après la vidange des latrines, les risques environnementaux encourus par la population haïtienne se multiplient à travers le pays. Malgré la mise en garde des autorités étatiques et la sensibilisation de certaines ONG, les pratiques rudimentaires de la vidange restent les mêmes.
74 % des Haïtiens n’ont pas accès à une latrine, selon un rapport du Programme des Nations-Unies pour le Développement (PNUD) datant de 2013. Les défécations se font à ciel ouvert, en pleine rue, dans des sachets en plastique, des assiettes en foam, etc.
En septembre 2023, seulement 39 % de la population haïtienne dispose d’installations sanitaires de base, tandis que 55 % ont accès à une source d’eau potable de base. Dans les zones rurales, plus de 30 % des habitants pratiquent encore la défécation à l’air libre, faute d’infrastructures adéquates selon une note de plaidoyer publiée par l’UNICEF.
La gestion des matières fécales est un sujet tabou qui nécessite de grandes innovations pour un environnement sain et vivable.
Évoluant en marge de la société à cause de sa profession de vidangeur, André Pierre, un septuagénaire, exerce ce métier discriminé depuis presque 52 ans, le plus souvent avec dédain. Membre de l’Organisation des Vidangeurs d’Haïti (OVIDHA), dirigée par Mauricette Jean Bidet, le nettoyage des latrines reste, depuis plusieurs décennies, son unique gagne-pain.
Pour une personne ayant une âme sensible, être sur un tel chantier provoque la nausée et des haut-le-cœur à chaque minute.
« Les soirées débutent généralement entre 10 h et 10 h 30 P.M », raconte Pierre. L’heure est fixée en fonction du volume de travail à effectuer. 10 heures ! L’obscurité devient épaisse, l’équipe est déjà sur les lieux. Accompagné de deux adjoints, Dieusibon et Décimé, Pierre donne le signal de mise en place des dispositifs : kabwèt, assiettes, sacs, cordes, sachets, bougies et un gallon d’huile d’acacia. Ce sont ces matériels rudimentaires qui composent l’ensemble des équipements du trio pour assurer le nettoyage. Bougie en main, l’état des lieux est fait, des gestes rituels sont effectués, l’opération doit commencer. « Maintenant, c’est l’heure de mettre la main à la pâte », dit-il. Pas n’importe laquelle, si l’on regarde ! Une bouillie d’excréments, avec une armée de cafards et de vermisseaux blancs qui grouillent ici et là, une masse indescriptible, dont l’odeur asphyxiante peut bloquer l’appareil respiratoire. Un tableau répugnant qui pourrait faire croire que seul un être déshumanisé peut être Bayakou, et pourtant !
Décimé, étant le plus jeune et le plus robuste, est le « majò tou ». C’est à lui de descendre dans la fosse ignominieuse. Le visage crispé, il arque ses jambes, retire son pantalon kaki ainsi que son caleçon et descend dans le tombeau d’excréments, tout en ayant une corde attachée à sa ceinture. Avec une assiette en aluminium, il remplit le sac qu’on lui a tendu d’excréments, la main badigeonnée.
Au premier sac rempli, Dieusibon le remonte vers le haut, le secoue deux à trois fois afin de le compresser pour accumuler plus de matière. Après compression, il noue l’ouverture avec une corde. De son côté, Pierre respire à fond, pousse un soupir et embarque la lourde charge. Sa main gauche tient l’ouverture du sac, sa main droite le soutient en dessous et il va le déposer sur la kabwèt. Une tâche pénible, tant par la densité que par l’odeur du fardeau. Un véritable travail d’équipe où chacun doit jouer sa partition.
Ce père de famille est à son premier travail de 40 000 gourdes pour l’équipe. Il espère en obtenir au moins deux autres de la même ampleur durant la semaine, ce qui lui permettrait de gagner 30 000 gourdes, soit l’équivalent de 227 dollars américains. En effet, sur les 40 000 gourdes, chaque membre de l’équipe reçoit 10 000 gourdes, et il faut également acheter de l’huile d’acacia (dont le gallon coûte déjà 750 gourdes), des bougies, des sacs, de l’eau et du savon pour se laver.
À la fin de l’opération, près d’une douzaine de sacs sont remplis. Ces « apôtres de la défécation » évacuent la cargaison d’excréments, franchissent l’avenue Lamartinière où ils déversent leur chargement dans le ravin ‘’bois de chêne’’.
Ce qui expose la population haïtienne à un grave danger sanitaire. Interrogée sur le lieu de déversement, l’équipe s’excuse de ne pas avoir d’autres alternatives. Faute d’équipements et de moyens de transport, de centre de transformations d’excréments, les sacs de matières fécales sont vidés dans les cours d’eaux, les égouts, les embouchures, ou en pleine rue quand les vidangeurs se font attraper par la lueur du jour.
Alors que des initiatives internationales offrent des perspectives prometteuses pour améliorer la gestion des déchets humains en Haïti en améliorant la santé publique et la protection de l’environnement en Haïti.