Le spectre du kidnapping, de l’insécurité en général, rend Haïti méconnaissable. Ces 5 dernières années, ces actes d’atrocités ont atteint leur paroxysme et ne sont pas sans conséquence sur le mental des citoyens. Ils affectent leur santé tant physique que psychologique. Les enfants et les femmes sont les catégories les plus touchées étant considérées comme les cibles privilégiées des malfrats de tout poil et de tout acabit.

L’enfance volée

Cédric est âgé de 11 ans. Il est en 6ème Année Fondamentale. Ce petit garçon habite Canaan, une zone rouge, située à l’entrée Nord de Port-au-Prince où les gangs armés pullulent et imposent leurs lois. Ils, violent, pillent et terrorisent la population jour et nuit sans être, eux-mêmes, inquiétés.

Le gamin fréquente une école située au bas de Delmas 18, l’un des quartiers réputés dangereux de la Capitale. Visage ridé, la peur au ventre, la voix tremblotante, le garçonnet raconte son quotidien : « un véritable calvaire. Le crépitement des armes automatiques nous effraient à longueur de journée tant à l’école qu’à la maison. Un jour, un homme a été tué à un jet de pierre de l’école, et cela m’a choqué. Je garde toujours cette image en tête. J’ai eu vraiment peur après avoir vu cela ».

L’adolescent est traumatisé par des scènes de violence dont il a été témoin dès son plus jeune âge. Alors qu’il grandissait dans son quartier, Cédric se rappelle de chaque détail comme si c’était hier. Le garçon précoce peut-être, se dit très inquiet de la mauvaise orientation des enfants de son âge, vivant dans son quartier.

« Certains jeunes de la zone, plus âgés que moi, avec qui j’avais l’habitude de jouer, portent aujourd’hui des armes et nous ne savons pas qui les ont orientés vers ce chemin », a-t-il déclaré.

L’histoire de Cédric est loin d’être anodine voire unique. Le climat d’insécurité qui s’installe dans le pays est dans une certaine mesure urbi et orbi. Il est caractérisé par l’atrocité des actes posés par les gangs armés. Parmi eux, le phénomène de l’enlèvement contre rançon, dont les femmes subissent majoritairement les conséquences, est le favori des malfrats.

L’insécurité affecte le mental des victimes

On le prénomme Vanessa. Mère de trois enfants, Récemment, elle a connu l’enfer que représente le kidnapping en Haïti. Aux mains de ses ravisseurs, elle a vécu une expérience laissant de graves séquelles sur sa santé mentale, d’après ce qu’elle nous a confié, l’air terrifiée: « Fréquenter les rues en ce moment est un véritable calvaire. Chaque fois que je me retrouve dans la zone, les séquelles de mon enlèvement apparaissent. Je circule dans les rues car j’y suis obligé mais si j’avais le choix je resterais cloîtré à la maison »
Le cas de Vanessa démontre à quel point il est difficile pour les femmes victimes d’enlèvement de reprendre une vie normale.

Le président de l’Association Haïtienne de Psychologie, Pascal Néry Jean Charles explique pourquoi c’est si compliqué : « Cela peut altérer son sommeil, il peut altérer son appétit, il peut altérer une grande partie du comportement sain que cette personne avait. L’altération de ces comportements va générer d’autres problèmes sur la santé physique».

Nahomie est policière, cette jeune dame qui frise la trentaine a été témoin d’une scène qui hante son esprit au quotidien. Son copain, policier lui aussi, a été froidement exécuté sous ses yeux et elle a échappé de justesse à la mort. Alors qu’ils étaient en route pour rentrer chez eux, des hommes lourdement armés ont soudainement arrêté la voiture et leur a demandé de descendre.

« J’ai été dans les bois cachée et j’ai vu mon copain qui suppliait les bandits de lui préserver la vie. Mais hélas j’ai été impuissante et je me sens responsable. J’avais envie de pleurer de crier mais je n’avais trouvé pas de force ni de voix », explique-t-elle. Plus d’un an après cela, la jeune dame semble loin d’oublier cette attaque. Chaque soir elle revit la scène espérant un autre dénouement. « Les femmes et les enfants sont deux groupes qui méritent, dans toute société, protection et accompagnement même en temps de guerre… Mais en Haïti, ils sont totalement délaissés. Même après avoir subi l’abominable, difficile pour eux de trouver assistance », déplore M. Pascal Néry Jean Charles. « Les femmes peuvent être victimes sur le plan matériel et autres, mais très souvent avec le viol elles sont victimes sur le plan personnel notamment à cause de l’aspect intimité. Ces genres de choc peuvent générer un double traumatisme. En ce qui concerne les enfants, beaucoup d’entre eux pourraient développer une dépression », regrette-t-il.

Les impacts sont aussi physiques

Une étude publiée en 2019 par la Fondation Haïtienne de Diabète et de maladies cardiovasculaires fait état d’environ 300 mille personnes souffrant de de Diabète en Haïti, près 2 millions d’autres sont atteintes d’hypertension. Des chiffres qui risquent d’augmenter durant les 3 prochaines années si rien n’est fait.

L’insécurité laisse des impacts physiques également. Les dégâts causés par la détérioration du climat sécuritaire du pays sont légions. Et ce n’est pas la Directrice Exécutive de la Fondation Haïtienne de Diabète et de Maladie Cardio-Vasculaires (FHADIMAC), qui viendra dire le contraire. Elle dit avoir constaté une nette augmentation des cas de diabète, d’hypertensions et de maladie cardiovasculaires. « En observant, nous avons remarqué que de nombreuses personnes souffrent des maladies telles que l’hypertension, le diabète et les maladies cardiovasculaires. Le stress est l’un des facteurs catalysant de ces maladies chroniques », explique Dr Nancy Charles Larco.

Selon le Centre d’analyse et de recherche en droits humains (CARDH) pour seulement l’année 2022, 857 enlèvements ont été recensés, contre 1009 l’année d’avant, soit une diminution de 15. 06 %. Un rapport du RNDDH publié en mars 2022 sur les affrontements entre gangs rivaux fait état de 191 personnes assassinées dont 76 femmes, 6 filles et 2 garçons, et 158 enfants sont devenus orphelins de père ou de mère ou les deux. Sans compter plus d’une dizaine de femmes séquestrées, battues, violées et déshumanisées par des sbires au relent de psychopathes. Ils utilisent la peur et les kalachnikovs pour satisfaire leur soif de sang et d’argents au vu et au su des autorités établies.

Mederson Alcindor