Dans le royaume de Muscadin…
Depuis quelques années, la société haïtienne fait face à une situation d’insécurité de plus en plus inquiétante. Cette situation est surtout caractérisée par l’explosion des foyers de gangs armés partout en Haïti. Si dans un premiers temps, les grandes villes étaient les seules concernées, aujourd’hui cette réalité touche d’autres contrées très reculées du pays. Dans ce contexte où la justice haïtienne est en chute libre, à Miragoâne, un homme tente de se sortir du lot. Il s’appelle Jean Ernest Muscadin, Commissaire du Gouvernement (CG) de la juridiction. Si partout en Haïti, des organisations de droits humains tirent à boulets rouge sur l’homme de loi, ici, entre la peur et la résignation, il fait presque l’unanimité. Symbole d’un Etat en chute libre.
Carrefour Desruisseaux. Les klaxons des véhicules retentissent partout. Des petits détaillants encombrent les trottoirs de la Nationale #2. Sous un ciel bleu décoré par une série de nuages blancs, l’entrée de la ville de Miragoâne est très animée. Ce Mardi, il est midi. Nous sommes sur le territoire contrôlé absolument par Jean Ernest Muscadin, chef du parquet.
Cet homme que nous avons rencontré au marché de la ville est prudent comme un serpent. « Nous fonctionnons ici grâce au commissaire Muscadin. Sans lui, il serait très difficile de gagner notre pain. Cet homme est notre papa. C’est lui qui élimine les bandits pour nous », déclare t-il avec discrétion, par crainte du service secret de Muscadin et ceux des bandits.
Pierre est le nom que nous donnons à ce chauffeur de taxi-moto originaire de Paillant, une commune frontalière de Miragoâne. Grace à ce semblant de stabilité créée par le commissaire, relate t-il, je vaque quotidiennement à mes activités. « Il y avait déjà certains hommes armés qui commençaient à s’éparpiller dans ma commune. Une fois qu’il a appris la nouvelle, Ernest Muscadin et son équipe les ont tous tués ou arrêtés », se réjouit le jeune homme marié, père de 3 enfants.
Muscadin, symbole d’une justice en chute libre
A l’heure actuelle en Haïti, personne ne peut ignorer la puissance absolue de Muscadin dans sa juridiction. En dehors ou selon la loi, l’homme agit avec rigueur. En raison de la faillite de l’Etat, les actions du commissaire s’inscrivent dans la logique de donner espoir à la société haïtienne, selon un jeune avocat que nous avons rencontré au parquet. Vêtu d’une veste noire, la clé de sa voiture en main, l’homme de loi est discret. « Au parquet, il y a plusieurs clans politiques. Il n’est pas facile de prendre positions contre les actions arbitraires du commissaire. Cependant, je reconnais que toutes ses actions sont applaudies par la population, sans lui, ça aurait pu être pire », explique t-il, juste a côté d’un client qui a un proche à la prison civile de la ville.
« Le commissaire du gouvernement est le chef de la poursuite pénale. Il est le premier des policiers….Cependant, il ne devrait pas agir en dehors de la loi. Car dans une société de droit, tuer en toute quiétude en dehors de la loi ne devrait pas faire l’unanimité », regrette cet homme qui est aussi professeur de sciences sociales dans un lycée de la ville.
Si dans certains cas, des autorités légales commettent des bavures clandestinement, le cas de Muscadin est bien différent. Il agit en one man show. Il ne cache pas ses actions. « Fais-moi confiance, si le bandits mettent les pieds dans les Nippes, ils vont finir au cimetière. Je le dis, et je reste sur ma gâchette. Le département des Nippes va toujours rester un cimetière pour eux, depuis que je suis toujours à la tête du parquet », lance Muscadin dans une capsule vidéo qui et devenue virale su les réseaux sociaux.
Selon les informations, l’homme de loi aurait exécuté plusieurs présumés bandits dans les Nippes, principalement dans les environs de Miragoâne. Pourtant, à en croire les informations personne n’a le droit de dénoncer publiquement les actions de Muscadin. Innocemment, il pourrait se faire indexer comme partisan des bandits surtout par la population. Pour lui, c’est une attaque contre la liberté d’expression. Quoiqu’il reconnait que le commissaire est animé d’une volonté pour combattre les menées subversives des gangs en Haïti.
La crainte d’un nouveau « Barbecue »
A l’instar de Jimmy Chersier alias « Barbecue », Ernest Mucadin fait peur. Selon des observateurs que nous avons interviewés, l’allure que prend le commissaire inquiète au plus haut niveau. Parce que, Jimmy est un ancien policier qui est devenu l’un des plus puissants chefs de gang à Port-au-Prince. Il est à l’origine de la coalition des gangs dénommées « G9 en famille et alliés ».
Par rapport aux faits qui lui sont reprochés, le chef du parquet de Miragoâne a été convoqué au Ministère de la Justice et de la Sécurité Publique à Port-au-Prince. C’était le lundi 6 juin dernier, après sa vidéo virale sur les réseaux sociaux le montrant en train d’exécuter le présumé chef de gang Elvain Saint Jacques alias Zo Pwason.
La nouvelle a eu l’effet d’une bombe sur les plateformes en ligne. En réponse, les habitants de la ville ont investi les rues pour protester contre cette décision, disent-ils qui est mauvaise. Ce commerçant qui écoule ses produits juste en face de la douane était aussi dans les rues pour protester contre la décision.
Sueur sur le visage, il estime que Muscadin n’a pas besoin l’ordre du Ministère de la Justice pour agir, car la population est solidaire avec lui. « S’ils ont besoin de notre Papa, nous les attendons dans son fief », a lâché l’homme d’un air sévère tout en évoquant les conséquences de la guerre des gangs sur la vie chère dans la ville.
Mais, il faut signaler que selon le Code d’Instruction Criminel (CIC), il est un magistrat qui a pour rôle « de veiller au respect strict et à l’application de la loi et au respect des intérêts de la société ». Selon l’article 3 du décret du 22 Août 1995, avec ses substituts, ils exercent le pouvoir judiciaire.
Pour aller plus loin, un autre avocat ayant requis l’anonymat rencontré au parquet craint pour l’ampleur que prend cette situation. « Si on continue à inviter le commissaire et que la population s’oppose, ça peut conduire à sa révocation. Car lui et toute son équipe sont lourdement armés. Cela peut conduire à la formation d’un groupe rebelle. Quoique certaines actions du CG sont illégales, mais il n y a aucune volonté au niveau de l’Etat pour résoudre le grand banditisme au niveau du pays », lâche-t-il juste avant de démarrer sa motocyclette.
Papa Duvalier !
L’histoire contemporaine d’Haïti est marquée en grande lettre par le passage de la dictature des Duvalier de Père en fils (1957-1986). Cette période est marquée par l’arbitraire absolu, car ce régime a contrôlé tous les appareils de la vie politique du pays. En référence à la détermination du CG, des gens l’appellent Duvalier. Un policier qui travaille au service de la circulation au niveau de la ville fait partie du lot. « Je travaille ici depuis 10 ans comme policier. C’est pour la première fois que je vois un homme à la tête du parquet et qui est prêt à tout affronter. C’est notre Duvalier ! », a-t-il avancé. En signe de félicitation à Muscadin.
Ce policier estime également qu’en cas de révocation du CG, il menace de quitter la PNH, car c’est l’une des rares autorités qui est animée d’une telle volonté, même au péril de sa vie. « Parfois, le CG utilise ses propres moyens comme sa voiture privée pour combattre les bandits », nous a-t-il confié avec fierté.
En raison de l’Etat des lieux à Miragoâne où le Commissaire Muscadin est seul à la baguette, c’est le signe d’une société où la justice est en chute libre. Ayant l’air d’un dictateur qui agit sans tenir compte des limites fixées par la loi, Muscadin est le résultat de ce que nous avons construit depuis des années. Avec une justice au bout de sa gâchette il est un homme à craindre absolument, selon plus d’un.
Dans une société démocratique, tuer illégalement ne devrait pas être une vertu. Cependant, à cause de l’insécurité, les habitants préfèrent s’appuyer sur le comportement arbitraire de Muscadin qui donne des résultats immédiats, au lieu de compter sur l’Etat qui semble être dépassé par les événements.
Mosard Jean-Louis