Pourquoi les jeunes veulent tant quitter le pays ?
Durant ces deux dernières décennies, le pays s’est enfoncé d’avantage dans l’abîme. L’insécurité, le chômage, la famine, l’instabilité politique et la « gangstérisation » des quartiers constituent le lot quotidien de la population haïtienne. Fort de ce constat, des jeunes ne rêvent qu’à laisser le pays, partir à la recherche de l’Eldorado.
Le 8 janvier 2023, le président américain Joe Biden fait une annonce qui a fait naitre beaucoup d’espoir chez des jeunes Haïtiens en quête d’une vie meilleure, ailleurs. La décision du 46e président des États-Unis de donner accès à 30 000 migrants de 4 pays différents dont Haïti est venue à point nommé, selon plus d’un. Car, aux yeux de certains jeunes d’ici, désormais l’unique planche de salut, c’est d’émigrer.
Partir à tout prix
Depuis après l’annonce du programme humanitaire, le hall du bureau de l’immigration devient un champ de bataille et les demandes de passeports sont en constante augmentation. Ils sont des centaines, voire des milliers de personnes à faire la queue tous les jours. Soleil, poussière et bousculade ne leur font pas peur. Jeunes, vieux, femmes enceintes et personnes handicapées s’entrechoquent devant les Centres de Réception et de Livraison de Documents (CRLDI). Ils sont tous là pour la même raison : obtenir un passeport le plus vite que possible.
On le prénomme, James, il est étudiant en 4e année de droit. Le jeune homme, frisant la trentaine est issu d’une famille modeste. « Vivre en Haïti, dans un pays où en ce moment si tu t’adonnes pas à une activité louche pour de l’argent, tu es considéré comme un héros. C’est difficile pour nous les jeunes de vivre ici, les défis sont de taille, les affronter exige des capacités surhumaines », se désole le licencié en Science Économique à l’Ecole des Droits des Gonaïves. « Il n’y a pas d’avenir pour nous dans ce pays. J’ai déjà décroché 2 diplômes, mais à quoi ça sert en Haïti, car je me retrouve toujours sous le toit de ma mère. Je suis jeune, mon avenir est devant moi, mais en restant ici, je vais hypothéquer toutes mes chances de réussir », estime James. Questionné sur le programme humanitaire des États-Unis baptisé Parole, il croit que c’est une meilleure opportunité de quitter le pays et d’aller se reconstruire ailleurs. Le jeune homme confie qu’il a toujours rêvé de laisser le pays, mais qu’il ne voulait pas se rendre illégalement aux USA ou au Canada, mais la porte s’ouvre maintenant. Il indique qu’il est en contact permanent avec ses proches là-bas. « Je vais tenter ma chance », a-t-il déclaré.
Cette volonté de quitter le pays habite la majorité des jeunes qu’on rencontre à chaque coin de rue à Port-au-Prince, la Capitale d’Haïti. Sylvie, 32 ans et mère d’un petit garçon, attend de voir un pédiatre dans une clinique. Elle ne voit pas d’avenir pour son fils « dans une société où les gangs font la loi et l’Etat est quasi inexistant, voire même complaisant ».
Elle ne rêve qu’à partir comme beaucoup d’autres. Son éventuel pays d’accueil favori, le Canada. « J’ai appris que là-bas, il y a un système social intéressant », souligne la jeune dame biberonnant son enfant. Sylvie pense qu’une fois traversée de l’autre côté, elle pourrait subvenir aux besoins de son enfant. « Je vais continuer avec mes études et je pourrais enfin travailler. Car, ce n’est pas comme chez nous. Je me rappelle avoir passé plus de deux ans à arpenter des dizaines d’institutions publiques et privées à la recherche d’un boulot, sans succès. Je sais que ce ne serait pas le paradis. Mais je ne n’assisterai pas, impuissante, mon fils mourir de faim », lance-t-elle la voix pleine de sanglots.
À l’instar de James et Sylvie, ils sont nombreux les jeunes haïtiens gagnés par le désespoir, tributaire de la crise multidimensionnelle qui secoue le pays depuis au moins une vingtaine d’années.
Un pays qui se meurt
À mesure que les années passent, la situation du pays se détériore et beaucoup plus de personnes cherchent à fuir le pays par tous les moyens. Ils veulent fuir cette misère. Ils en ont ras le bol de cette crise à répétition qui plombe les efforts d’une population en asphyxie.
Félix, jeune étudiant en Communication Sociale à la Faculté des Sciences Humaines ne voit pas d’un bon œil que la force active et la réserve saine du pays abandonnent le navire ainsi, mais il se dit conscient que le bateau coule. « Le risque encouru par une personne qui vit en Haïti est élevé », admet-il. « Vivre ici, c’est frôler la mort au quotidien notamment avec la prolifération des gangs et le phénomène de l’insécurité généralisée surtout la violence dans les quartiers nous poussent à tourner le dos à notre mère patrie », regrette Félix grignotant un « paté kòde ».
Même s’il ne souhaite pas faire le choix de partir, mais il comprend ceux qui ne peuvent plus résister, qui ne peuvent plus se battre dans ce pays « déchiré par la guerre des gangs, vassalisé par les politiciens véreux et détruit par une élite économique cupide et apatride ».
L’aspirant communicateur en veut aux dirigeants qui se sont succédé à la magistrature suprême les qualifiant d’incompétents et de corrompus. Selon lui, c’est la faute à eux si aujourd’hui Haïti est invivable. À cause de leur comportement mesquin, leur politicaillerie et la mauvaise gouvernance, le pays est désormais au fond du précipice forçant jeunes et moins jeunes à tenter des périples périlleux pour un lendemain meilleur.
Toutefois, il reconnait que tout le monde ne peut pas laisser le pays. Certains lutteront et garderont l’espoir et s’engageront pour changer cet Haïti, la première république noire du monde.
Rester pour rebâtir
« Haïti nous appartient, nous devons travailler ensemble pour la sortie de ce marasme », soutient Patrice Jasmin, un professeur de philosophie en classe terminale qui réagissait dans un autobus sur le programme humanitaire Parole des USA. Il pense que les Haïtiens doivent entamer un processus de « réveil et d’éveil ».
Les fils et les filles du terroir doivent tenter un sursaut patriotique et faire passer l’intérêt du pays en premier. « Si nous devons mourir pour changer Haïti, n’ayons pas peur, faisons-le ! Moi, je suis prêt, s’exclame l’enseignant qui s’adresse aux passagers qui se disaient découragés par la tournure que prennent les choses depuis un certain temps.
M. Jasmin rappelle que nous sommes un peuple de bâtisseurs, au passé glorieux. « Nous avons déjà écrit l’histoire, nous pouvons encore récidiver », croit-il. « Plus que jamais il faut se serrer les coudes, espérer et entamer la marche inverse vers une Haïti prospère. Mais pour y arriver, on doit se servir de l’éducation comme leitmotive et chasser tous les éléments improductifs des différentes élites de ce pays », tance le professeur de philosophie.
Wandy Charles & Mederson Alcindor