PaP Jazz au Cap-Haïtien : le rideau est ouvert
La Fondation Haïti Jazz a donné, hier vendredi, le coup d’envoi de la 16e édition de son festival qui se déroule dans la ville du Cap les 20,21 et 22 janvier. La flûtiste Maria Torro, le saxophoniste Martin Auguste et le batteur Damien Schmitt ont ouvert le bal, en plein air, jouant leur musique devant un parterre de journalistes, face à un public venu nombreux se divertir et se dégourdir les jambes au son de “Rara Pay Kawòt”
Sur la route menant à la localité de Vaudreuil, comme au centre-Ville, des pancartes promotionnelles habillent deux ou trois murs et poteaux électriques. De la bouche des motards, des marchands de rue et des riverains fusent le mot “Jazz”. Toute une ville entend parler d’un festival que Port-au-Prince, enclavée de gangs armés, n’a pas pu tenir l’an dernier en ces lieux habituels. Les “pays lock”, les tueries en cascades, les enlèvements et divers autres actes de banditisme, ainsi que la crise de carburant ont mis à plat entrepreneurs et opérateurs culturels. Ce climat de tensions socio-politiques avait conduit la Fondation Haïti Jazz à reporter l’événement, dans le souci de protéger la vie des musiciens et celle de toute l’équipe technique qui fait rouler la machine.
Mais comme s’il fallait qu’ils existent, qu’ils continuent de nous faire rêver et d’insuffler de l’espérance à tout une jeunesse à bout de souffle et qu’on pousse à l’exil, les organisateurs se sont résignés à le tenir, bon an mal an, en étalant leur programmation sur une période de trois jours, en guise de huit comme à l’accoutumée, avec un budget révisé à la baisse. Ils n’entendent pas déposer les armes, quoique le cachet des parraineurs et partenaires réduit, en raison de l’inflation galopante et du contexte socio-économique peu propice à l’investissement dans l’événementiel.
La FHJ a dû encore une fois trousser les manches, mobiliser sa batterie familière de partenaires pour organiser cet événement musical qui entend, cette année, rendre hommage à Toussaint L’ouverture, “symbole de liberté”, et saluer dans le même temps le départ d’Yves Renard, “Français d’origine qui a vécu pendant trente ans en Sainte-Lucie où il aura grandement contribué au succès d’un important festival comme le nôtre. Il fut un collègue-ami de la Fondation et a inlassablement défendu le Kreyòl jazz”, confie Miléna Sandler dans les coulisses de Lakay Restaurant.
“Le Cap-Haïtien est la ville à laquelle tout Haïtien pense quand on prononce le mot patrimoine. Non seulement parce que s’y trouvent la Citadelle et Sans-Souci, classés patrimoine mondial de l’humanité depuis 1982, mais aussi parce qu’il abrite de nombreux autres sites dont le Fort Saint-Joseph récemment rénové”, a déclaré Emmelie Prophète, prenant la parole dans une vidéo (pre-recordée) diffusée sur grands écrans. “Le Cap-Haïtien méritait cet événement”.
Un événement qui a déjà conduit une palette d’artistes internationaux à fouler le sol haïtien pour y goûter à notre cuisine riche (au rang des meilleurs au monde), pour siroter notre rhum brun, pour dialoguer avec de jeunes artistes locaux à travers des ateliers. Des gloires du jazz, inscrites au panthéon de cette musique afro-américaine : beaucoup y sont passés. Brandford Marsalis, Sandra NKake, Gonzalo Rubalcaba, Célia Kaméni, Danilo Pérez, Dee Dee Bridgewatter, Christian Scott, Keny Garett, Laurent de Wilde, Etienne MBappe, etc. Bref, des monuments qui ont tous refusé de voir cette île laminée et appauvrie à travers les lunettes d’une presse étrangère à sensation.
À cette liste s’ajoutent une génération de musiciens reconnus, nés de parents originaires d’Haïti, qui ont sculpté dans le travail acharné et la patience une ample et belle carrière sur la scène internationale, comme c’est le cas de Jowee Omicil, saxophoniste programmé en tête d’affiche pour cette 16e édition. La Fondation regrette de devoir annuler son concert, “parce qu’il avait déjà fait un double-booking depuis mai en Guadeloupe avec les Biguine Jazz Collective”, a informé Milena Sandler, précisant qu’il est “impossible d’avoir deux artistes l’un après l’autre dans deux pays de la caraïbe à un jour près”.
Plusieurs représentants d’Amérique du Nord et du Sud, d’Europe, de Cuba et de République Dominicaine occuperont la scène du PaP Jazz et c’est Maria Torro, venue d’Espagne, Martin Auguste, du Canada (flanqué de l’envoûtante chanteuse Canado-Haitienne Mélissa Dauphin), ainsi que l’énergique batteur français Damien Schmitt qui ont tiré, hier vendredi, le rideau sur un univers musical tressé tour à tour de flamenco, de blues, de fusion, de samba, de rock mâtiné de compas, comme l’a illustré “San mele”, titre phare du répertoire de Zeklè, mythique groupe des années 80-90. Joël et Mushy, frères de sang et de son, l’ont repris, tout en laissant au fil du jeu le saxophone de Martin Auguste gémir dea mélodies coulantes dans un solo prégnant et finement ciselé, digne d’un apôtre de Trane.
Au Cap-Haïtien, @diploseb participe au lancement de la 16ème édition de PAPJAZZ. 🇨🇦 poursuit fièrement sa longue tradition de soutien à cet événement musical spectaculaire en 🇭🇹 ! pic.twitter.com/pwOXrmrOF6
— Canada en Haïti (@AmbCanHaiti) January 21, 2023
On n’oublie pas ce Mushy Widmaier, ce monstre du classique, voulant “traiter ses mélodies à la Bartók”, qui improvise et concocte mille et une variations sur le thème grivois “Ti sourit”, très cher au populaire tambourineur Azor dont il salue en permanence la mémoire sur fond d’habillage sonore.
Quant au flûtiste Maria Torro, native du Galicia (Madrid), c’est son flamenco natal qu’elle nous amène à dénicher dans son puisant dialogue installé entre son pianiste Jorge Castañeda et le batteur Andrís Litwin.
Entre Torro, Auguste et Schmitt, il y a le “Rara Pay Kawòt” qui porte les festivaliers à se dégourdir les jambes, sous un ciel gracile au bord d’une mer dont la vague écumante n’a pas fini de cracher sur les rives des algues de déchets.
11h pile. Gròg Bar fut le dernier escale. Il le sera pour les Ahter Hours jusqu’à dimanche soir. Après avoir suivi les concerts gratifiés sur la grande scène, tous y affluaient pour écouter Friend’s band, ainsi que le jeune trompettiste Amazan Audoine, avant que ne soit déclaré ouverte la jam-session traditionnelle, ce grand moment de partage musical entre artistes d’ici et d’ailleurs.
Rosny Ladouceur