Lors de cette terrible tragédie, Jonas Jean* habitait la commune de Pétion-Ville entouré de sa famille composée de deux enfants ainsi que sa femme. 12 janvier 2010 lui a enlevé presque tout. Deux de ses trois enfants, sa maison et tous ses acquis se sont envolés dans moins d’une minute. Treize ans après, il est vrai qu’il mène une autre vie mais les séquelles de cette douloureuse expérience lui hantent encore l’esprit.

J’ai tout perdu…

« J’avais presque tout perdu lors de ce cataclysme combien malheureux et regrettable », se rappelle  Monsieur Jean, photographe professionnel et spécialiste en vidéographie. Quelques heures avant le tremblement de terre, la victime nous confie qu’il était encore en route pour regagner sa demeure. Sa femme venait de chercher ses deux enfants de l’école. Ils étaient respectivement en 2ème et 3ème année fondamentale. Le garçonnet s’appelait Fred, âgé de 7 ans et demi et la fillette 9 ans. Lui-même absent lors du drame, son épouse qui était à la maison n’avait pas eu le temps de sauver ses deux enfants qui étudiaient dans le salon, alors qu’elle était sur la galerie entrain de gérer d’autres choses.

Le photographe se souvient amèrement de la manière dont il a vu l’effondrement de sa maison, à son retour du travail, causé par une autre maison qui était un peu plus élevée que la sienne.

« Mon souvenir le plus douloureux reste et demeure les images des mes deux enfants morts et retrouvées sous les décombres trois jours après le drame »,  pleure M. Jean le visage abattu et triste. Il est vrai qu’aujourd’hui j’ai de nouveaux enfants mais, me rappeler de ces défunts est devenu une pratique. « Je n’oublierai jamais ce coup de massue », lache-t-il l’air déboussolé.

Pour ceux qui disent que c’est de l’incrédulité de la part des personnes qui ont perdu tout ce qu’elles possédaient, cet homme pense autrement. Comme beaucoup d’autres victimes, Jonas et sa femme ne savaient pas ce que c’est qu’un tremblement de terre. Ignorance mélangée à l’irresponsabilité des autorités étatiques allaient causer ces nombreuses pertes en vies humaines et matérielles, croit ce père de famille. A  son avis, si l’Etat haïtien exercait une surveillance et contrôlait les constructions, ces dégâts regrettables auraient pu être évités.

Une vie nouvelle treize ans après

Après avoir enterré ses deux enfants, Jonas avait choisi de quitter sa zone natale,  Pétion-ville, pour enfin recommencer une nouvelle vie à Fort-Jacques, lieu qui a bercé son enfance. Dénudé et seul, il a dû relancer sa vie à zéro. 12 janvier 2010 lui a tout ôté, même ses clients de photo en majeur partie.

A Fort-Jacques, le photographe est devenu agriculteur et éleveur. Il travaille la terre pour s’occuper de sa femme et ses trois enfants. Sous son nouveau toit, il vit avec sa fille aînée, sa femme et deux nouveaux fils. Reconstruire une maison, une nouvelle vie et faire de nouvelles expériences, n’a pas été facile pour lui mais Jonas y est parvenu.

Le quinquagénaire s’investit désormais dans l’élevage de lapins et de porcs afin de prendre soin de sa nouvelle famille. Plus d’une décennie après la catastrophe, aucun support étatique et/ou organisationnel ne lui est parvenu. « J’ai tout refait moi-même », dit-il, une once de fierté dans la voix. Quant à son métier de photographie, il l’exerce à chaque fois que l’occasion se présente. Il immortalise des évènements comme une fête, une communion, une  graduation…Des festivités  qui lui permettent de gagner quelques sous.

Il est vrai que ces multiples corps sans vie et blessés restent présents dans la tête de Jonas Jean, mais l’homme se considère comme un héros, à l’instar de tous les haïtiens qui ont survécu à ce drame. Le photographe qui peine à faire le deuil des ses progénitures treize ans plus tard, souhaite  oublier ces vieux jours funestes. « Pour vivre, il faut laisser derrière soi certains évènements », affirme Jonas qui souffre d’une migraine chronique depuis la tragédie.

Se relever…

Aujourd’hui, ce Jonas décapitalisé en quelques secondes est fier de dire qu’il a sû remonter la pente grâce à ses multiples efforts. Malgré les chocs psychologiques sévères, il a pû reprendre goût à la vie et entreprendre paisiblement ses activités.

« Bòs Jonas », comme on le surnomme, est conscient que sa maison détruite le 12 janvier 2010 était mal construite. Il souhaiterait que de nombreux haïtiens en sont aussi conscients et décident de construire autrement, donc mieux.  Mais M. Jean dit constater avec peine que les constructions continuent à violer les normes parasismiques sous les yeux d’un État failli. Treize ans après, la vie ne sourit pas à Jonas comme il l’aurait souhaité mais il est heureux et reconnaissant d’avoir cette chance de vivre au sein de sa petite famille dans la joie et la tranquillité.

Laurore Michel