Quelle politique de vaccination anti-covid 19 pour Haïti ? Tel a été le thème d’un webinaire organisé le mardi 27 juillet 2021 par le think- tank, Policité, dont la directrice exécutive est l’économiste Emmanuela Douyon. En plus de Mme Douyon, deux (2) autres intervenants se sont illustrés au cours de cet enrichissant échange, il s’agit de la Docteure Louise C. Ivers et du Docteur François Willy Staco, spécialistes en santé publique. Un premier numéro qui annonce une longue série d’interventions initiées par ce laboratoire d’idées et d’actions en Haïti.

Le contexte

500 000 doses du vaccin Moderna ont été offertes au gouvernement haïtien par les États-Unis dans le cadre du mécanisme Covax de l’Organisation mondiale de la santé (OMS). Il s’agit d’un dispositif qui se veut être une collaboration mondiale novatrice se basant sur deux (2) principes phares en relation internationale, à savoir la solidarité et l’équité. Plusieurs centres de la capitale ont déjà commencé à administrer le vaccin. Mais le scepticisme des uns quant à l’efficacité du vaccin, le refus catégorique des autres à se faire vacciner et la disponibilité limitée de doses dans le pays, poussent des organismes de la société civile dont Policité à s’interroger sur l’implication d’une bonne politique publique ou son absence dans ce contexte de vaccination.

Comme le souligne d’emblée la directrice de Policité, avant la livraison des doses de Moderna, l’État haïtien avait ouvert la voie aux importateurs et distributeurs des produits pharmaceutiques du secteur privé pour commander des vaccins contre la Covid-19 dans le pays, une situation quelque peu controversée sachant que les dispositifs qui doivent être mis en place à la réalisation d’un programme de vaccination d’une telle envergure sont complexes.

De ce fait, comme le soutient le docteur Staco, une telle démarche doit être l’apanage de l’État haïtien. Le spécialiste constate une situation pour le moins surprenant. Il avance que :

les normes de l’OMS disposent qu’une pandémie est sous contrôle « si le taux de positivité est inférieur ou égale à 5 %, en Haïti le taux de positivité frôle la barre des 20% ».

Il explique que le taux de positivité fait référence à la quantité de personnes déclarées positives par rapport à celles testées. Ce qui fait qu’Haïti fait face à une transmission communautaire exagérée et la méfiance de la population ne fait pas la part belle aux autorités sanitaires.

Docteure Ivers a tenu pour sa part à rappeler une évidence. En effet, elle constate que les statistiques officielles demeurent sous-évaluées en raison d’une quantité minime de tests réalisés, ce qui vient mettre à mal le processus de vaccination car la majorité de la population aura une fausse perception de l’ampleur de la pandémie sur le territoire.

Plus important encore, la directrice exécutive du Massachusetts General Hospital Center for Global Health , entend soulever les faiblesses du dispositif Covax , « l’idée de Covax au départ était très bonne … l’idée c’était que les pays riches se mettent ensemble afin de fournir aux plus pauvres des vaccins, mais là où le bât blesse c’est que des pays riches tel que les États-Unis ou l’Irlande s’approvisionnent de manière excessive. Se faisant, ils visent à sécuriser leurs besoins, quitte à avoir du surplus. La pénurie de doses disponibles prive donc les pays moins riches l’accès aux vaccins.[ …] Haïti subit l’effet négatif d’une telle pratique. Les personnes ciblées par la politique du gouvernement haïtien n’auront même pas droit à une quantité de dose suffisante ». Elle poursuit en soulignant que : « il existe un faussé énorme entre les mots et les actes de la communauté internationale en matière de développement internationale, il s’agit d’actions qui dépend uniquement d’un système de charité ». La spécialiste des maladies infectieuses irlando-américaine précise toutefois « la Covax est une bonne initiative, c’est le leadership des leaders mondiaux des pays riches qui pose problème ».

À la question portant sur la nécessité ou non d’une politique de vaccination pour Haïti, le docteur Staco quant à lui répond de manière très pédagogique. Il commence par définir ce que pourrait être une politique vaccinale : « ce concept désigne un ensemble de stratégies ou d’actions concertées et intégrées, par le ministère de la santé publique d’un pays, (donc, c’est l’affirmation même de l’État comme instance régulatrice) où plusieurs structures doivent coordonner leurs actions dans le but de fournir des directives et observer les stratégies de vaccination tout en tenant compte de la réalité actuelle. Par exemple en ce qui a trait aux choix des groupes ciblés, une priorisation qui doit être effectuée par rapport à la quantité limitée des doses tout en faisant une analyse situationnelle par rapport à la conservation du vaccin », le docteur affirme qu’il n’y a aucun risque à se faire vacciner. Au contraire, il ne peut y avoir que de bénéfice pour le pays», soutient-il. Même son de cloche du côté du docteur Ivers qui affirme sans langue de bois « Il est absolument nécessaire de vacciner la population ».

L’efficacité des vaccins

S’agissant de l’efficacité des vaccins, le docteur Staco se permet de faire un détour. Il avance que divers paramètres doivent être pris en compte dans le choix des vaccins « c’est tout naturel face à la situation consistant à choisir des vaccins, d’opter pour celui le plus efficace, mais divers paramètres doivent être pris en compte. D’abord il y a la capacité de conservation, des vaccins comme ceux de Pfizer par exemple nécessitent des températures extrêmement basses afin de les conserver. Il y a aussi le coût qu’il faut bien prendre en compte. Et quant à l’efficacité à proprement parler, les flacons multi doses s’avèrent être plus efficaces que ceux à dose unique ». Le docteur Louis Ivers quant à elle n’y va pas par quatre chemins, elle déclare que l’essentiel serait de se faire vacciner, les autres considérations sont donc secondaires si l’on voudrait résumer sa pensée.

À rappeler que, jusqu’au 13 juillet 2021, Haïti était le seul pays des Amériques à ne pas avoir reçu une seule dose de vaccin contre la COVID-19. Les 500 000 doses de Moderna offertes par les États-Unis d’Amérique par l’intermédiaire de la COVAX apportent en effet un soulagement à une population qui peine encore à se remettre de l’assassinat de son Président et qui fait face à une flambée de violence urbaine entre groupes armés dans plusieurs quartiers de la capitale.

Jonathan Ménard