«Tabula rasa, révolution !» prônent les petrochallengers
«Changeons ce système foiré une fois pour toutes », ce coup de gueule est repris avec beaucoup de hargne sur les réseaux sociaux et dans les rues. Il est exprimé en grande partie par les Petro-challengers, véritables fer de lance de la mobilisation contre la corruption en Haïti. Ces protestataires, pour la plupart étudiants et professionnels, souhaitent un changement radical.
Au milieu de l’effervescence populaire (Vle pa vle fok li ale), des voix s’élèvent pour demander plus, et beaucoup plus encore. «Pourquoi pas un chambardement total ?», se questionnent des centaines de Petro-Challengers qui battent le pavé aux côtés de milliers d’autres manifestants antigouvernementaux. « Ce serait malsain de demander uniquement au chef de l’État et au Premier Ministre de partir et croire que le pays ira mieux », explique d’entrée de jeu Emmanuela Douyon, spécialiste de politique publique et projet de développement. Elle relativise : « ces deux acteurs ont sûrement leur part de responsabilité dans la crise mais il existe bien d’autres entités qui ne font pas leur travail ».
Un système « foiré », totalement à refaire : les raisons
Selon le sociologue et petro-challenger James Beltis, les raisons qui justifient le renversement de ce système sont nombreuses et variées. Il nous invite à en considérer les trois plus importantes. D’abord, il fait remarquer que la grande majorité de la population est dans l’incapacité de satisfaire ses besoins primaires : manger et boire. Abordant la conjoncture actuelle, le professeur d’université Hérold Toussaint croit savoir qu’au nom de la dignité humaine, tout le monde doit pouvoir manger, «Sinon il y a un problème anthropologique». Le Docteur en sociologie souligne en effet que les révolutions menées à travers le monde sont liées à la problématique du «manger et boire». Une seconde raison pour rompre avec le système est que celui-ci reste « décousu », argue James Beltis, affirmant que ce système est à l’antipode de la philosophie même qui a créé la nation haïtienne : «Tout moun se moun, pa gen moun pase moun. Depi gen pou youn gen pou 2». La troisième raison avancée : le système n’est pas sécuritaire. À ce niveau, le constat est sans appel, de l’avis des petro-challengers. Ils soutiennent que dans un sens large, cet État n’est pas parvenu après plus de 200 ans à sécuriser ses sujets. La grande majorité n’a pas accès au logement, à l’électricité, aux soins de santé, à l’eau potable et au crédit. « Ce système ne peut plus continuer. Il doit tomber », jurent les petro-challengers.
Les alternatives
Les petro-challengers ne se font pas d’illusion, en attendant de trouver la formule magique pour faire tomber ce système. Pourtant, ils restent convaincus que la stratégie susceptible de redresser la barque nationale existe. À travers plusieurs structures mises sur pied dans le cadre de leur lutte (comme NOU PAP DOMI et AYITI NOU VLE A), les protestataires ont décidé de recueillir les points de vue et propositions de tous les secteurs vitaux du pays. À ce jour plus 6 mille personnes se sont manifestées via une pétition en ligne. Pour venir à bout de ce système jugé moribond, le sociologue Ralph Emmanuel François pense qu’il faut une démarche constitutionnelle qui prendrait en compte les revendications de la population. L’alternative sera aussi de s’impliquer dans la politique active. James Beltis admet que le non-engagement politique de ceux qui protestent souvent contre l’établissement de ce système a toujours été une mauvaise stratégie.
Une « révolution » en douceur
Dans ce combat pour l’établissement d’un nouveau système, les petro-challengers ne sont pas pressés. « Aucune révolution n’est aisée», nuance Emmanuela Douyon soulignant que la précipitation ne mènera nulle part. « On n’a pas la prétention que cette génération profite des retombées de la révolution », poursuit-elle, soutenant que chaque citoyen a une responsabilité dans cette bataille. « Nous sommes en train de semer des graines», affirme pour sa part le rappeur haïtien K-Libr’, l’un des initiateurs du mouvement Petro-Challenge. Pour lui, cette génération a attrapé un train en marche. Il s’agit de celui de l’éveil de la conscience. Il estime que cette génération ne pouvait et n’avait du reste pas le droit de rester indifférente face au pourrissement du système qui, indéniablement, accentue la détérioration des conditions de vie des plus vulnérables. Comme le souligne le sociologue Ralph Emmanuel François, c’est la toute dernière chance de cette génération, la fin d’une horloge générationnelle de mobilisation.
Wandy Charles / Source : Challenges Magazine