La motocyclette s’est brutalement invitée dans notre quotidien de peuple et s’est installée dans le pays comme moyen de locomotion alternative face à un système de transport moribond. Ce véhicule transformé en taxi représente le gagne-pain de nombreux jeunes en proie au chômage, et surtout un réel danger pour la sécurité routière.

Un mélange de sang, de sueur et d’odeur de médicament. Une odeur âcre irritante qui provoque des éternuements intermittents. On se pince le nez. Nous sommes à la salle de l’orthopédie de l’Hôpital de l’Université d’État Haïti. Il n’y a pas un patient dans cette pièce de 10 lits qui n’a pas un membre suspendu modelé dans un plâtre, une jambe ou un bras cassé. Certains se tordent de douleur, alors que d’autres, les yeux hagards, reçoivent du soluté par voie intraveineuse. Dans l’allée, il y a deux autres patients que les brancardiers sont sur le point de transférer au bloc opératoire. Parmi eux, Gesner, le pantalon en lambeaux, le péroné droit déchiqueté jusqu’à la cheville. Étendu sur ce qui semble être un lit, le jeune homme peut à peine bouger. En dessous de son lit, une mare de sang qui coagule. «Son cas est critique. Il doit être opéré d’urgence mais on attend la radiographie », confie sa mère entre pleurs et oraisons adressées au ciel. Gesner est un mécanicien, il répare les motos. Le malheureux s’est fait renverser par une 4×4 alors qu’il essayait une motocyclette qu’il venait de réparer. « C’est son 3ème accident en moins de deux mois», nous apprend sa mère. Son unique fils n’a pas le choix, sa survie et celle de sa maman dépendent de la moto. Le cœur gros de soupir, Gesner insiste pour nous parler : «Je suis bien placé pour vous parler des chauffeurs de mototaxi, je les côtoie tous les jours. Je répare leur véhicule. Ce sont pour la plupart des inconscients», murmure-t-il.

Prises en charge des accidentés
Entre l’octroi d’une prescription, la sollicitation d’un parent de malade et les appels de la section Urgence, le résident en orthopédie Peterly Philippe nous livre à la volée la réalité de la prise en charge des personnes victimes d’accident de la circulation admises à l’hôpital général. D’abord le médecin de garde concède que l’HUEH reçoit beaucoup plus d’accidentés depuis la fermeture des hôpitaux de Médecin Sans Frontière (MSF). «En moyenne, nous recevons une vingtaine de victimes par jour », révèle le Dr Philippe, les yeux fatigués, dus probablement aux nuits blanches successives à faire la garde au service d’orthopédie. Sans avancer de chiffres exacts, Peterly Philippe admet que la majorité des patients soignés à son service sont victimes d’accident de moto. « Ici, on reçoit les accidentés de tout type. Cependant, les victimes d’accidents de la voie publique impliquant des motocyclettes sont majoritaires», a-t-il précisé. Le spécialiste explique qu’en général le manque de lits et de matériels médicaux adéquats constitue les plus grandes entraves à son travail. L’autre obstacle à déplorer souligne-t-il : « Les matériels utilisés en orthopédie coûtent très cher et font cruellement défaut au plus grand centre hospitalier du pays». Or, ces accessoires sont indispensables pour une prise en charge efficace des patients, surtout quand il y a des fractures ouvertes.

STOP Accident : cri d’alarme et plaidoyer
«Les accidents de motocyclettes sont définitivement un phénomène national. Aucun département, ni commune, ou section communale n’est épargné ». C’est le constat du Docteur Garnel Michel, consultant national de la structure Stop Accident, mise sur pied en raison de l’ampleur que prend ce phénomène en Haïti. En 2018, Stop accident a recensé, seulement en 5 mois (juillet à décembre), environ 2 000 personnes tuées dans des accidents de la circulation. « Qui plus est, les victimes sont en majorité des jeunes, voire des enfants», regrette le médecin. Les chiffres sont parlants. Environ 20 % des personnes victimes d’AVP sont des enfants de moins de 14 ans, révèle un bilan établit par l’organisation Stop Accident. «Aujourd’hui, les accidents de la circulation sont la première cause de mortalité et de morbidité dans le monde, touchant des personnes âgées de 5 à 29 ans». Pour seulement la période allant du 8 au 10 mars 2019, un total de 21 accidents a été recensé par STOP Accident. Parmi les victimes, la journaliste Sabine Flerizard de Radio-Télé Lumière. 8 morts ont été comptabilisés sur place, dont 5 jeunes autour de 20 ans.

Wandy Charles / Source : Challenges Magazine