La période pascale est un point culminant dans les célébrations religieuses en Haïti. Liturgie, évangélisation, rara et cabal sont les rituels exercés du mercredi des cendres jusqu’au dimanche de Pâques. À chaque religion ses propres mystères et sa doctrine pour ramener à Dieu les âmes perdues. Un focus spécial…

Si les catholiques font le «chemin de croix », les protestants des «croisades », les vodouisants de leurs côtés pratiquent leurs rituels axés sur le «rara» et le «cabal». Dans ce pays à prédominance religieuse, l’empreinte des dieux peut être remarquée partout ou presque. Dans cette hétérogénéité religieuse, chaque adepte cherche à nourrir son âme de ses propres croyances.

Les Pâques, un terrain spirituel mosaïque

Durant cette période dite « Période pascale», les catholiques célèbrent la mort de Jésus Christ en organisant dans les rues et dans les paroisses le chemin de Croix. Une mise en scène qui retrace sous une forme mimique les quatorze stations du fils de Dieu avec un initié qui, tout au long de la cérémonie, porte une Croix en bois sur son dos. Les protestants eux, se lancent dans des campagnes d’évangélisation afin de présenter aux non-croyants les messages des évangiles considérés comme étant «La bonne nouvelle» qui conduit vers Jésus Christ, le fils de Dieu. Quant aux vodouisants, après avoir honoré les « loas » dans les péristyles et les «lakou», ils gagnent les rues pour célébrer le traditionnel Rara. À Port-au-Prince, aux Gonaïves et surtout à Léogâne, des foules de vodouisants (de catholiques) célèbrent le Carême du mercredi des cendres jusqu’au Dimanche de Pâques. Une célébration qui, selon l’anthropologue et Houngan Norluck Dorange, est culturelle et traduit l’expression de la survie des traditions indigènes dans une période appelée Équinoxe qui coïncide avec la fête de Pâques des chrétiens. Comprenant au moins trois tambours et des instruments «banbou», « kone ou piston », « tchatcha », «graj» ainsi que des percussions, le rara offre un spectacle avec des danseurs et des «majò-jon », ou jongleurs à bâton, qui attirent les passants tant par leurs exercices que par leurs habits aux couleurs vives.

Quand la foi se politise, L’État se spiritualise

N’étant pas capable de faire preuve de laïcité lui-même, l’État, par le biais de ses représentants notamment l’Exécutif, fonce aveuglément dans les exercices religieux pour attirer la sympathie des fidèles ou adeptes. À titre d’exemple, Jovenel Moïse a participé à plusieurs cérémonies vodouesques dans le but de saluer les ancêtres et les loas pour ensuite témoigner des bienfaits de Dieu dans le protestantisme lors d’une grande croisade évangélique (Haiti In), réalisée par plusieurs évangélistes internationaux les 18,19 et 20 janvier 2018. En marge de cette cérémonie religieuse, le président haïtien avait affiché une foi chrétienne en déclarant : « depuis le 7 février 2017, j’ai dédié le pays à Dieu… pendant toute ma campagne électorale, ma force je l’ai trouvée en Dieu ».

La religion, entre spiritualité et aliénation

Très difficiles à circonscrire et à définir, les pratiques religieuses existent depuis toujours, et prennent différentes formes selon les époques. En Haïti, en ce 21e siècle, certaines pratiques religieuses ont marqué les esprits par leur caractère intrinsèque qui avoisine la manipulation et l’aliénation. À Port-au-Prince, les cas de Shalom avec le très populaire révérend André Muscadin, de Piscine Béthesda avec Marcorel Zidor « Pasteur Marco », l’église de Dieu indépendante de la porte étroite à Delmas 19 d’ Armel Lafleur et l’église « Les envoyés de Dieu » de Mackenson Dorilas dit Prophète Mackenson, peuvent témoigner du niveau de laxisme affiché par l’État haïtien. En septembre 2018, le ministère des cultes avait pris une décision sanctionnant le prophète Mackenson Dorilas pour avoir déclaré être détenteur de pouvoir divin et prescrit à ses adeptes un « remède miracle » contre le sida avec des punaises de lit comme ingrédients, des citrons, de l’aloé, etc. Fort de son succès auprès de ses fidèles, le prétendu prophète n’a de cesse de présenter de nouvelles formules dites miraculeuses. Quelques mois plus tard, ce même Mackensen Dorilas offre un « bain de boissons gazeuses » pour guérir et bénir ses adorateurs.

Rituel sacré dans un péristyle.      

Des rituels spectaculaires en termes de « miracles » qui suscitent l’étonnement et l’enthousiasme des uns, la moquerie et la suspicion des autres. Cependant, à ce niveau, il n’est pas le seul maître à penser. À Shalom «tabernacle de gloire», les rapports financiers de ce centre religieux ont, à maintes reprises, provoqué des scandales. André Muscadin, pasteur titulaire de l’église « Shalom », était sous le choc quand le 12 octobre 2018 la Direction Générale des Impôts (DGI) avait pris la décision de saisir tous les comptes bancaires de l’église pour n’avoir pas payé ses impôts entre 2010 et 2015. Une dette qui était évaluée à une somme de 3, 557, 569, 69 de gourdes, selon André Muscadin. Le religieux qui s’était montré très remonté contre la décision de l’État avait menacé de descendre dans les rues de la capitale, accompagné des membres de son assemblée, si les responsables ne reconsidéraient pas leur décision. Concernant le montant, il avait affirmé que le temple qu’il dirige n’était pas une entreprise commerciale, et qu’il n’en tirait aucun profit. « Je donne un ultimatum de 2 jours aux autorités de l’État pour qu’elles reviennent sur leur décision. Et nous ne négocierons qu’avec le président de la République », avait-il lancé devant des milliers de fidèles qui criaient au scandale. Pour couronner le tout, l’homme de foi avait martelé : « Je préfère mourir que de payer la DGI qui veut nous extorquer à hauteur de 2 millions de gourdes pour la période allant de 2015 à 2018. J’utiliserai des pouvoirs spirituels contre ces hommes d’État, en particulier contre Miradin Morlan, le Directeur de la DGI ». Celui qui se défend bien de diriger une entreprise commerciale a la fâcheuse habitude de collecter des billets de mille gourdes pendant les journées de prière. Ceci ressemble étrangement à une activité à but purement lucratif dans la mesure où celles et ceux qui versent le plus d’argent recevraient davantage de bénédictions.

Par Marc-Evens Lebrun / Publié le 10 Mai 2019 / Source : Challenges Magazine