Incendie du Marché Hyppolite, le vrai coût des dégâts
Dans la nuit du 12 au 13 février 2018, le marché Hyppolite a été une nouvelle fois la proie des flammes. Les dégâts de l’incendie sont inestimables et les pertes de denrées des marchands auront très certainement des répercussions néfastes sur l’avenir de leurs enfants.
542 marchands en sont victimes, selon le bilan officiel présenté par la Commission interministérielle créée au lendemain du drame par le Premier ministre Jacques Guy Lafontant sur ordre du Président Jovenel Moïse. Cet incendie qui a dévasté la partie sud du marché Hyppolite (Marché en fer) dans la nuit du 12 au 13 février 2018 a laissé derrière lui des pertes considérables. Effondrement d’une bonne partie du bâtiment, destruction de denrées alimentaires et autres, des millions de gourdes parties en fumée… Composée du Ministère du Commerce et de l’Industrie, du Ministère de l’intérieur et des Collectivités territoriales, du Ministère des Affaires Sociales et du travail, du Ministère à la Condition Féminine et aux Droits des Femmes, la Commission interministérielle n’est toujours pas en mesure d’évaluer le coût total des dégâts
Jovenel Moïse, affecté par cette nouvelle catastrophe, s’est rendu sur les lieux et a pris l’engagement d’aider les marchands et d’ainsi favoriser une reprise de la vie économique au marché Hyppolite. « Aujourd’hui même, je vous l’assure, l’État que je dirige va vous assurer une prise en charge… La commission interministérielle créée pour subvenir aux besoins des sinistrés va analyser les dossiers au cas par cas », déclarait le chef de l’État. Inauguré le 22 novembre 1891, sous le gouvernement du président Florvil Hyppolite, le marché Hyppolite dit « marché en fer, marché Vallière ou encore marché en bas » a été incendié au moins 3 fois ces 10 dernières années. Malgré cette vulnérabilité extrême les dispositions qui s’imposent ne sont toujours pas adoptées pour éviter la répétition de pareils incidents.
Des pertes inestimables
« 18 millions de dollars américains ont été dépensés pour financer la reconstruction du marché après le séisme du 12 janvier 2010 », rappelle Maarten Boute, le président de la Digicel. En plus de cette somme « la Fondation Digicel dépense environ 300 mille dollars tous les ans pour la maintenance et le nettoyage », a-t-il fait savoir. Quoique, « chaque semaine, 100 gourdes sont prélevées par la Digicel aux marchands formellement enregistrés, pour couvrir les frais de sécurité, les superviseurs, etc. ». Jean Louis Pierre Luc, marchand et secrétaire de l’Association des Marchands du secteur Informel du Marché Vallière (AMSIV), se dit consterné par cette catastrophe. Ne pouvant chiffrer avec exactitude ses pertes, il révèle avoir enregistré un déficit conséquent. « J’ai beaucoup perdu », répète-t-il d’une voix angoissée. Son investissement qui s’était placé dans le botanika (instruments et livres pour les rituels mystiques), et parallèlement dans le commerce de la viande, est estimé à environ 450 00 gourdes. En une nuit, tout a disparu sous les flammes. Malgré cette énorme perte, il exprime son amertume à l’égard des autres victimes en tant que responsable de l’AMSIV. « Beaucoup des marchands prêtent de l’argent aux institutions financières, contrairement à moi. Aujourd’hui, ils ont tout perdu, et l’une des plus grandes difficultés qu’ils rencontrent c’est la hausse continue des intérêts bancaires ou hypothécaires. Les institutions financières sont insensibles aux douleurs des marchands, les banques et les microcrédits ne veulent ni réduire les taux d’intérêt ni prolonger les délais de remboursement. Or, l’une de nos premières revendications auprès des responsables du Ministère du Commerce et de l’Industrie était de trouver des négociations à l’amiable avec les institutions bancaires ».
Un patrimoine affecté
« Outre les matériels et les denrées détruits, l’incendie a aussi dévasté un symbole du patrimoine haïtien », déplore Maarten Boute en ajoutant : « Le marché en fer fait partie du patrimoine National suite à la publication de l’arrêté présidentiel datant du 11 mai 2010 et son effigie orne le revers du billet de 1 000 gourdes, émis en 1999 à l’occasion du 250e anniversaire de la ville de Port-au-Prince ». Pour le PDG de la Digicel, l’affectation d’un tel témoin de l’histoire a ses répercussions sur l’économie nationale. Un point de vue qui rejoint celui de Patrick Durandis, directeur de l’Institut de Sauvegarde du Patrimoine National (ISPAN) qui rappelle que l’ISPAN a été au cœur des négociations auprès de la fondation Digicel pour la reconstruction du marché suite au séisme du 12 janvier 2010.
Plusieurs victimes par ricochet
Sanon Mirtha, âgée de 75 ans, est décédée suite à l’annonce de l’incendie qui confirmait également la destruction de ses marchandises. Une perte en vie humaine que Monsieur Jean Luc déplore car cette vieille dame, dit-il, était connue de tous. « Tous les marchands de la place lui portaient une grande admiration car elle symbolisait la matriarche du milieu, à un point tel qu’elle a été sous l’estrade lors de l’inauguration du marché en tant que doyenne », se remémore Monsieur Jean Luc. Les impacts indirects ne s’arrêtent pas là. Roseline* a quant à elle été renvoyée de l’université pour cause de dette. Sa mère, l’une des marchandes victimes de l’incendie, ne cesse de supplier les responsables du décanat de lui accorder un délai pour payer les frais facultaires, mais malheureusement aucune considération n’a été faite en sa faveur.
Une recapitalisation promise
Après avoir recensé la liste des 542 marchands victimes, la Commission interministérielle a organisé a déjà effectué deux distributions de chèques aux victimes. La première cérémonie concernait 200 marchands, et la deuxième 900, qui ont reçu chacun 20 000 gourdes. Pierre Marie du Meny (Ministre du commerce et de l’industrie) dit espérer qu’une évaluation pour déterminer le niveau des dégâts et des pertes à travers un bilan chiffré sera faite. La ministre à la condition féminine Eunide Innocent rassure de son côté : « Toutes les victimes trouveront un accompagnement de l’État ».
Des enquêtes qui se poursuivent
Le président Jovenel Moïse demande à la fois au ministre de la justice, au commissaire du gouvernement, à la Direction Centrale de la Police Judiciaire (DCPJ) de trouver les causes de l’incendie. « Si l’incendie est accidentel, l’État endossera ses responsabilités, mais s’il est criminel les coupables paieront pour leur crime », insiste le chef de l’État. Selon Maarten Boute, « l’État doit emboîter le pas pour gérer l’urgence de la combustion des débris, mettre les moyens pour supporter les marchands affectés et comprendre ensuite que la Digicel ne sera pas capable de reconstruire à nouveau ce marché sans son aide ».En attendant la réponse de l’État sur la question, nombreux sont les marchands qui espèrent les résultats d’une enquête qui pourra déboucher sur un procès en justice si effectivement l’incendie du marché est d’ordre criminel comme le dénoncent certains marchands.
Marc Evens Lebrun / Avr 18, 20 / 1821 / Source : Challenges Mazine